Quand bons sentiments et négligence se côtoient
ME BENJAMIN POIRIER
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE MICHAUD LEBEL
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE MICHAUD LEBEL
Cet homme aimait son cheval prénommé « Macho » depuis 20 ans. Il lui était très attaché et le tribunal le reconnaît facilement, comme nous le verrons dans cette affaire de négligence équine 1.
En 2008, le diagnostic tombait, son cheval était atteint d’une maladie de neurone moteur dégénérative. La vétérinaire informe alors le propriétaire que le pronostic est sombre et que l’euthanasie sera, tôt ou tard, inévitable. Au fil des années suivantes, le cheval développe des tremblements plus évidents et une posture anormale dite triangulaire. À partir de l’année 2016, Macho maigrit et il refuse de se faire parer les sabots des antérieurs. À l’été 2017, il refuse de se faire parer les sabots des postérieurs. À l’automne 2017, Macho se trouve très mal en point. Un signalement est fait au Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (« MAPAQ »). En octobre 2017, l’inspectrice du MAPAQ se présente chez le propriétaire de Macho avec une vétérinaire et un policier. On découvre alors un cheval squelettique. Durant son témoignage au procès, la vétérinaire a fait les observations suivantes. Macho avait une cote de chair très faible de 1 sur 9. Le bassin, les côtes et les omoplates étaient très saillants. La fréquence cardiaque était très élevée à 56 battements par minute : un diagnostic de tachycardie. Le cheval était atteint de fourbure, une inflammation aiguë du pied. Macho peinait à se déplacer, puisqu’il accusait une boiterie généralisée aux quatre membres, qui tremblaient. Les sabots avant étaient tellement longs, on aurait dit des pieds de lutin, selon l’image utilisée par le tribunal. La posture triangulaire de Macho paraissait au premier coup d’œil. Les membres antérieurs étaient appuyés vers l’arrière, alors que les membres postérieurs étaient appuyés vers l’avant. La vétérinaire a conclu que le cheval était en grande souffrance, toutes ses réserves étant épuisées. Le cheval était voué à une mort certaine dans les semaines à venir. L’état de santé complètement détérioré de Macho empêchait son transport et rendait sa condition médicale irrécupérable. La vétérinaire avait recommandé l’euthanasie, ce qu’avait accepté le propriétaire, qui, apprend-on au procès, avait déjà creusé le trou pour mettre la dépouille de Macho. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (« DPCP ») a déposé une accusation contre le propriétaire de Macho en vertu de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal 2, notamment parce que l’animal n’avait pas reçu « les soins nécessaires lorsqu’il [était] blessé, malade ou souffrant ». Pour satisfaire à son fardeau de preuve, le DPCP devait prouver l’état de santé de l’animal et l’absence des soins requis. La preuve d’une intention malveillante de la part du propriétaire n’était pas nécessaire. Pour satisfaire à son fardeau de preuve, le DPCP devait prouver l’état de santé de l’animal et l’absence des soins requis. La preuve d’une intention malveillante de la part du propriétaire n’était pas nécessaire. En défense, le propriétaire devait faire la preuve que tous les efforts raisonnables avaient été déployés
afin de fournir à l’animal tous les soins que sa condition médicale requérait. Au procès, on apprendra que le propriétaire connais-sait depuis 2008 le diagnostic de maladie de neurone moteur et son caractère dégénératif. Le propriétaire témoignera que Macho était normalement plus maigre au printemps et reprenait du poids vers la fin de l’été. Macho recevait plus d’attention que les autres chevaux. Il avait une diète composée de suppléments, de fibres, de gras et de betteraves. Selon le propriétaire, Macho n’avait pas besoin d’autres soins. Quant au parage des sabots, il était devenu impossible de s’en occuper à cause du refus du cheval. Les sabots arrière n’avaient pas été taillés depuis deux mois et ceux à l’avant depuis plus d’une année. Le propriétaire reconnaissait l’état de détresse médicale de Macho, mais il était déchiré par la perspective de devoir l’euthanasier. Il avait creusé le trou prévu pour recevoir la dépouille de Macho, cependant il disait vouloir attendre une semaine ou deux que ses filles le voient une dernière fois. Il ne pouvait se résoudre à commettre l’irréversible. La preuve administrée au procès est accablante. Le tribunal ne remet pas en question l’amour que pouvait porter le propriétaire pour son cheval depuis vingt ans. Cependant, le tribunal conclut que le propriétaire avait laissé perdurer une situation qu’il savait néfaste pour la santé et le bien-être du cheval. Le tribunal considère que le propriétaire a adopté une position attentiste. L’amaigrissement de Macho au fil du temps, ses tremblements et sa boiterie, dans le contexte du diagnostic de 2008, auraient dû inciter encore plus le propriétaire à solliciter l’opinion d’un vétérinaire quant aux soins à lui prodiguer pour remédier aux souffrances ou les alléger. Le tribunal retient de la preuve que le propriétaire a finalement laissé souffrir le cheval, et ce, hors de tout doute raisonnable. Le Tribunal : « Toutefois, pour être diligent, il ne suffit pas d’aimer et de nourrir son animal. Lorsque celui-ci est malade ou souffrant, il faut veiller à ce qu’il reçoive les soins nécessaires requis par son état de santé 3. » Le propriétaire de Macho a été déclaré coupable d’une infraction en vertu de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal. Il est passible d’une amende allant de 2 500 $ à 62 500 $.
À titre comparatif, rappelons qu’en 2019, une autre propriétaire de chevaux avait été condamnée à une amende de 2 500 $ pour avoir gardé ses animaux, dont trois chevaux, dans un enclos boueux avec un aménagement extérieur susceptible d’affecter le bien-être des animaux, puisque plusieurs débris jonchaient le sol, notamment « un morceau de tôle déchirée, une tige de métal, de la broche, des piquets, des morceaux de ciment et des roches », qui pouvaient potentiellement les blesser 4. Au moment d’écrire ces lignes, le propriétaire de Macho devait connaître sa sentence au printemps 2020. *** Note : Dans le contexte de la pandémie à la Covid-19 et des mesures de confinement et de distanciation sociale mises en place par le Gouvernement du Québec, les lois et règlements édictant les besoins essentiels ou minimaux des chevaux doivent être interprétés et appliqués en fonction des impératifs de santé publique en vigueur. Il est possible de consulter un webinaire réalisé par Cheval Québec à ce sujet : https://cheval.quebec/declaration-cheval-quebec-covid-19 NOTES : 1 Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Brulé, 2020 QCCQ 188. 2 Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, RLRQ c B-3.1. 3 Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Brulé, 2020 QCCQ 188, para. 67. 4 Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Brulé, 2019 QCCQ 4218. 5 (RLRQ, chapitre B-3.1). |
Besoins fondamentaux Voici les cinq besoins fondamentaux des animaux selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). La Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal 5, en vigueur au Québec, couvre ces cinq besoins :
Source : https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Publications/Guideapplication_Loi_Bien_etre_animal.pdf Amendes et pénalités Selon les articles concernés, les détails de la cause et le jugement de la cour, les contrevenants à la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal peuvent payer des amendes et pénalités variant de 500 $ à 62 500 $ pour les personnes physiques (particulier) et de 5 000 $ à 125 000 $ pour les entreprises. Source : https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Publications/Guideapplication_Loi_Bien_etre_animal.pdf Protéger en toute sécurité « En vertu de l’article 15 [de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal], tout citoyen qui dénonce de bonne foi une situation impliquant un animal dont le bien-être ou la sécurité est ou a été compromis sera protégé lors d’une éventuelle poursuite que le propriétaire ou le gardien de l’animal pourrait décider d’intenter à son égard. » Source : https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Publications/Guideapplication_Loi_Bien_etre_animal.pdf À consulter Il est possible de consulter en ligne le Guide d’application de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal : https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Publications/Guideapplication_Loi_Bien_etre_animal.pdf |