PAR PEARL DUVAL
ARTICLE PARU DANS
CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - AUTOMNE 2016 - VOL.34 NO.3 |
Des chevaux et des hommes, la collection Émile Hermès, Paris
Nous avons tous entendu parler à moment ou un autre de la compagnie Hermès International, le nec plus ultra des objets de luxe : maroquinerie, parfumerie, horlogerie, prêt-à-porter, etc. Mais Hermès, c’est d’abord un empire familial qui doit tout à son premier client depuis 1837, le cheval... et qui n’a pas oublié. Pour la première fois dans l’histoire de cette entreprise prestigieuse, quelque 250 objets (sur les 15 000 répertoriés) de la collection privée d’Émile Hermès sortent de France pour un court séjour en Amérique du Nord, à Pointe-à-Callière, Musée d’histoire et d’archéologie de Montréal. Malgré de nombreuses propositions reçues au fil des ans par les plus grands musées du monde pour monter des expositions à l’International, la famille Hermès avait toujours répondu par la négative. Jusqu’au jour où la directrice générale de Pointe-à-Callière, Francine Lelièvre, de passage à Paris en 2014, soit invitée à visiter le cabinet privé d’Émile Hermès (elle avait déjà été en contact avec l’entreprise pour préparer l’exposition Marco Polo – Le fabuleux voyage. La Maison lui avait gracieusement prêté trois selles asiatiques). Charmée et profondément émue par la collection exceptionnelle que peu ont la chance de voir (seuls les membres de la famille, quelques employés et certains clients de marque y ont accès), elle réussit là où plusieurs avaient échoué. « Elle nous a convaincus en nous disant qu’elle ne voulait pas seulement montrer les pièces de la collection, mais aussi raconter l’histoire de l’homme qui a rassemblé ces objets »(1), confie Philippe Dumas, petit-fils d’Émile Hermès. Présent à la conférence de presse qui s’est tenue en mai dernier, M. Dumas s’est dit enchanté par le travail des concepteurs. « Je craignais que ces objets, une fois placés dans un musée, soient éteints. C’est tout le contraire : ils sont vivants. Les concepteurs ont fait un travail extraordinaire. »(2) Francine Lelièvre, Menehould du Chatelle, directrice du Patrimoine culturel de la maison Hermès et Christine Dufresne, chargée de projet à Pointe-à-Callière, ont voulu, à travers cette exposition unique au monde, faire connaître l’homme derrière les artéfacts et les oeuvres d’art exposés dans son bureau à l’étage du prestigieux atelier du 24, rue du Faubourg St-Honoré à Paris. Émile Hermès n’était pas qu’un dirigeant d’entreprise, c’était également un visionnaire. Il a su pressentir le déclin de la société du cheval au profit des technologies modernes au tournant des XIXe-XXe siècle, et a voulu conserver les vestiges de ces cultures où le cheval était roi depuis presque 6 000 ans. PARCOURS DÉCOUVERTE La première impression qui se dégage de cette exposition est celle d’être en présence d’une collection exceptionnellement riche, composée d’objets couvrant plusieurs millénaires et provenant de tous les continents sauf l’Antarctique. Des objets patiemment choisis, parfois débusqués au hasard de voyages lointains ou dans un marché aux puces, par un homme ayant un profond respect pour le cheval d’abord, mais aussi pour le travail bien fait, le travail de l’artisan, la tradition d’un savoir ancien partagé de génération en génération jusqu’à nos jours. Mme Lelièvre décrit la collection d’Émile Hermès comme une mine de repères de l’Histoire, une fenêtre sur l’interpénétration entre sa collection et son entreprise. C’est un témoignage concret des relations humaines, des échanges, des rencontres entre cultures équestres au fil des siècles. Et il est vrai qu’à travers les objets allant des étriers chauffants à la selle chinoise du XVIIe siècle, des voitures hippomobiles aux costumes d’amazones, des malles et sacs de voyage aux jouets de toutes époques, des toiles de grands maîtres aux statuettes minuscules du IIe millénaire av. J.-C., le visiteur a l’impression d’être à la croisée des chemins entre l’influence du cheval sur l’humanité et l’Histoire de l’humanité elle-même. UNE SAGA FAMILIALE Fondée à Paris en 1837 par Thierry Hermès, immigrant allemand né à Krefeld en 1801, la Maison Hermès voit le jour comme manufacture de harnais et de selles. Lui-même apprenti chez un artisan sellier-harnacheur de Pont- Audemer en Normandie durant plusieurs années, Thierry se fait rapidement une renommée grâce à la qualité de son travail du cuir. À sa mort en 1878, c’est son fils Charles-Émile (1831-1876) qui prend la relève, suivi plus tard de son propre fils Émile- Antoine (1871-1951). C’est à ce dernier que l’entreprise familiale doit son essor dans les cercles de la haute bourgeoisie et de la noblesse européenne, où le cheval a toujours été gage de pouvoir, en adaptant les produits de la maison aux nouveaux modes de vie de cette clientèle d’élite. Attentif à l’innovation, Émile Hermès voyage au Canada durant la Première Guerre mondiale dans le cadre d’une mission destinée à approvisionner la cavalerie française en harnais et en chevaux. Il fait même un passage remarqué à Montréal où il rencontre les dirigeants du Montreal Jockey Club et du Montreal Hunt Club, le plus vieux club de chasse à courre en Amérique du Nord (fondé en 1823). Durant l’un de ses déplacements en automobile, il remarque pour la première fois le système de fermeture à glissière dont est dotée la capote de la « Cadillac » qui le transporte. De retour à Paris, il a l’idée d’acheter le brevet de cette invention pour la France, et de l’adapter à une nouvelle ligne de sacs à main et de valises qui vont l’aider à relancer l’entreprise, dont le chiffre d’affaires souffre depuis que l’automobile triomphe définitivement du cheval, et que les cours d’Europe sont hors circuit depuis la fin de la guerre. Au cours du XXe siècle, la Maison Hermès connaît plusieurs transformations. Dans les années 1920, elle étend la signature Hermès aux vêtements féminin et masculin, à l’horlogerie, à la bijouterie, aux accessoires de sports ou de ville, à la décoration intérieure. En 1929, la styliste Lola Prusac crée les premiers carrés de soie et développe une ligne de vêtements dédiés aux sports émergents de l’époque : plage, ski, etc. En 1933, elle crée une ligne de sacs et bagages inspirés des oeuvres du peintre néerlandais Mondrian. En 1947, la signature Hermès s’ouvre à la parfumerie avec Eau d’Hermès (créée par Edmond Roudnitska). Puis en 1967, Catherine de Károlyi crée au sein de la Maison la première collection de vêtements prêt-à-porter. (3) Mais c’est en 1978 que la plus profonde transformation a lieu, grâce à Jean- Louis Dumas, l’un des arrière-arrières petits-fils du fondateur, qui devient président du groupe Hermès. Il pousse l’entreprise à l’internationalisation et la diversification des savoir-faire de la Maison. Il y ajoute l’horlogerie, la bijouterie et l’orfèvrerie en gardant en tête trois priorités : le sens de la fidélité, l’exigence de la qualité et la volonté d’innover. (4) SAUVEGARDER LE PATRIMOINE ÉQUESTRE Tout au long de sa longue carrière, Émile Hermès a conservé un émerveillement presque enfantin pour toutes les choses équestres. Son petit-fils Philippe se souvient encore de ces matinées passées avec son grand-père à arpenter les marchés aux puces de la capitale française, à la recherche d’un objet insolite qu’il pourrait ajouter à sa collection. Ou encore de ces morceaux de cuir jetés à la rue qu’il avait ramassés Dieu sait où, mais qui avaient attiré son oeil averti. Il s’afférait alors à les réparer pour leur redonner tout leur éclat de jadis et les ajouter à sa collection qui comprenait pourtant des joyaux, comme des toiles de grands maîtres tels Théodore Géricault, des esquisses d’Edgar Degas ou de Charles le Brun, ou encore des milliers de photographies, des centaines de brides, de mors, d’étriers, d’éperons, de statues, toutes représentatives d’un lieu, d’une activité équestre, d’une époque révolue. UN VOYAGE EN UNE EXPO Lorsqu’on visite l’exposition de Pointe-à-Callière, on a l’impression de suivre un parcours savamment conçu pour nous rappeler les différents métiers reliés au cheval et leurs outils : maréchal-ferrant, cocher, postillon... un regard sur les innovations techniques qui témoignent de l’ingéniosité de chaque époque pour lutter contre le froid, améliorer le confort et la sécurité tant du cavalier que du cheval. On y voit ainsi une bouillotte de diligence, un étrier-chauffant et des oeillères-freins, parmi quelques exemples. INDISSOCIABLE DU CHEVAL : L’AVENTURE La thématique du voyage est évoquée par des trousses, sacs, sacoches et malles. Et à travers ces objets on observe le changement du rôle du cheval, de l’utilitaire vers les loisirs, l’équitation, la chasse à courre, les courses et les concours hippiques. Plusieurs objets illustrent la transition harmonieuse de la bourrellerie à la bagagerie. Si vous voulez voir une exposition équestre qui a de la classe, ne manquez surtout pas celle-ci, vous ne le regretterez pas. Cette sortie n’est pas adaptée pour les jeunes enfants, mais si vous avez des ados accros du cheval, aucune hésitation à avoir, ils seront enchantés d’être entourés de tant d’objets luxueux... et apprendront un peu d’histoire en prime ! Pointe-à Callière Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, du 20 mai au 16 octobre 2016 CITATIONS : (1-2) : Exposition Hermès : des chevaux et une famille, Mario Girard, La Presse http://www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/201605/27/01-4985777-exposition-hermes-des-chevaux-et-une-famille.php (3) : Wikipédia-Hermès International : https://fr.wikipedia.org/wiki/Herm%C3%A8s_International (4) : « Jean-Louis Dumas : le patron-artiste qui a réveillé Hermès », sur Les Echos, 3 mai 2010 http://www.lesechos.fr/03/05/2010/LesEchos/ 20669-046-ECH_jean-louis-dumas---le-patron-artiste-qui-a-reveille-hermes.htm SOURCES : Catalogue de l’exposition Des Chevaux et des Hommes. http://www.pacmusee.qc.ca/fr/medias/ communiques-de-presse/pointe-a-calliere-presente-en-premiere-mondiale-l-exposition-des-chevaux-et-des-hommes-la-collection-emile-hermes-paris © |