DROIT
Donné, c'est donné ?
PAR ME BENJAMIN POIRIER
Dans le milieu équestre, le don d’un cheval n’est pas aussi exceptionnel qu’on pourrait le croire. Les aléas de la vie et la charge que représente un tel animal font parfois en sorte qu’un propriétaire préfère en faire don à une tierce personne. Il s’agit d’une décision importante dont on ne soupçonne pas toujours toutes les conséquences. Les risques de malentendus sont grands si l’on ne prend pas la peine de bien clarifier les choses, comme vous le verrez dans l’exemple suivant.
Les faits : la source de la mésentente
La Cour a récemment tranché à propos d’une situation impliquant l’euthanasie d’un cheval. D’abord, la Cour devait déterminer à qui appartenait l’animal euthanasié et dans un deuxième temps déterminer les dommages auxquels aurait droit la propriétaire du cheval euthanasié sans autorisation.
Le 15 février 2015, deux juments sont achetées et mises en pension dans une écurie. La nouvelle propriétaire achète aussi du foin pour nourrir ses juments et pour les autres chevaux de l’écurie ne lui appartenant pas. Il aurait été convenu, entre la propriétaire des juments et la propriétaire de l’écurie, que la valeur du foin serait remboursée éventuellement.
Le 31 août 2016, la propriétaire des deux juments les « laisse » à la propriétaire de l’écurie qu’elle ne fréquente plus. À ce moment, il aurait été convenu que l’argent de la vente des juments serait remis à la propriétaire des juments. Du point de vue de la propriétaire de l’écurie, les deux juments et le foin lui auraient été donnés.
Plus tard, la propriétaire des juments apprendra qu’une des deux a été euthanasiée à son insu. Elle dépose des procédures judiciaires à la Division des petites créances de la Cour du Québec réclamant, notamment, un dédommagement pour la valeur de la jument euthanasiée (3 500 $) et pour la valeur du foin (2 000 $).
La propriétaire de l’écurie nie les allégations contre elle et, en réponse, dépose à son tour une demande contre la propriétaire des juments d’une somme de 1 800 $ représentant des dommages moraux découlant d’affichages diffamatoires à son endroit par la propriétaire des juments sur un réseau social.
Le jugement
Face à des versions contradictoires du fil des événements, la Cour rappelle que le fardeau de preuve civil est celui, non pas « hors de tout doute », comme en matière criminelle, mais bien celui de la probabilité. L’existence d’un fait doit être plus probable que son inexistence, mais l’existence de ce fait doit dépasser la simple hypothèse ou la simple possibilité. C’est la règle du 50 % +1. Entre les deux histoires, est-ce que celle de la partie demanderesse, ici la propriétaire des deux juments, est la plus probable ? Soulignons aussi que chaque partie doit présenter sa preuve et rencontrer son fardeau. D’abord, la propriétaire de la jument euthanasiée, concernant la donation ou non des juments. Puis, les arguments de défense de la propriétaire de l’écurie.
Dans le cas d’un don, ici de la donation d’un cheval, il est présumé que le propriétaire du cheval n’a pas eu l’intention de le donner, jusqu’à preuve du contraire. La Cour doit constater une intention ferme de donner et une acceptation de la part de la personne recevant le cheval. Voyons les échanges de courriels présentés à la Cour lors du procès. La propriétaire des juments :
Les faits : la source de la mésentente
La Cour a récemment tranché à propos d’une situation impliquant l’euthanasie d’un cheval. D’abord, la Cour devait déterminer à qui appartenait l’animal euthanasié et dans un deuxième temps déterminer les dommages auxquels aurait droit la propriétaire du cheval euthanasié sans autorisation.
Le 15 février 2015, deux juments sont achetées et mises en pension dans une écurie. La nouvelle propriétaire achète aussi du foin pour nourrir ses juments et pour les autres chevaux de l’écurie ne lui appartenant pas. Il aurait été convenu, entre la propriétaire des juments et la propriétaire de l’écurie, que la valeur du foin serait remboursée éventuellement.
Le 31 août 2016, la propriétaire des deux juments les « laisse » à la propriétaire de l’écurie qu’elle ne fréquente plus. À ce moment, il aurait été convenu que l’argent de la vente des juments serait remis à la propriétaire des juments. Du point de vue de la propriétaire de l’écurie, les deux juments et le foin lui auraient été donnés.
Plus tard, la propriétaire des juments apprendra qu’une des deux a été euthanasiée à son insu. Elle dépose des procédures judiciaires à la Division des petites créances de la Cour du Québec réclamant, notamment, un dédommagement pour la valeur de la jument euthanasiée (3 500 $) et pour la valeur du foin (2 000 $).
La propriétaire de l’écurie nie les allégations contre elle et, en réponse, dépose à son tour une demande contre la propriétaire des juments d’une somme de 1 800 $ représentant des dommages moraux découlant d’affichages diffamatoires à son endroit par la propriétaire des juments sur un réseau social.
Le jugement
Face à des versions contradictoires du fil des événements, la Cour rappelle que le fardeau de preuve civil est celui, non pas « hors de tout doute », comme en matière criminelle, mais bien celui de la probabilité. L’existence d’un fait doit être plus probable que son inexistence, mais l’existence de ce fait doit dépasser la simple hypothèse ou la simple possibilité. C’est la règle du 50 % +1. Entre les deux histoires, est-ce que celle de la partie demanderesse, ici la propriétaire des deux juments, est la plus probable ? Soulignons aussi que chaque partie doit présenter sa preuve et rencontrer son fardeau. D’abord, la propriétaire de la jument euthanasiée, concernant la donation ou non des juments. Puis, les arguments de défense de la propriétaire de l’écurie.
Dans le cas d’un don, ici de la donation d’un cheval, il est présumé que le propriétaire du cheval n’a pas eu l’intention de le donner, jusqu’à preuve du contraire. La Cour doit constater une intention ferme de donner et une acceptation de la part de la personne recevant le cheval. Voyons les échanges de courriels présentés à la Cour lors du procès. La propriétaire des juments :
Je te laisse (jument 1) et (jument 2). Je sais qu’elles vont être bien avec toi. Je te les donne, si jamais tu les vends, garde tout l’argent. On avait aussi convenu que tu me redonnerais l’argent pour le foin quand (…) ferait de l’argent, je te le donne ça aussi.
Courriel de la propriétaire de l’écurie en réponse :
Je ne garderais pas l’argent des chevaux car je n’ai qu’une parole et (…) aussi, malgré les insultes de (…). Quand ont le pourra, ont te rendra l’argent du foin (sic).
Après un examen, la Cour ne retrouve pas dans l’échange courriel l’acceptation de la donation des deux juments par la propriétaire de l’écurie. La promesse de distribuer l’argent de la vente éventuelle des juments n’est pas suffisante pour officialiser une donation. La Cour conclut que l’entente concerne la garde des juments en pension seulement et la reconnaissance que la valeur du foin doit être remboursée.
À titre de gardienne des juments, la propriétaire de l’écurie devait veiller à leur bien-être et tenir informée leur propriétaire. Cependant, une des deux juments souffrait à un membre au moment de son arrivée à l’écurie. Il s’agissait d’une condition dégénérative aucunement liée à une possible faute de la propriétaire de l’écurie. L’aggravation de la maladie a poussé la propriétaire de l’écurie à faire éventuellement euthanasier la jument pour la relever de ses souffrances. Dans ces circonstances, le choix semble difficilement contestable.
D’un point de vue strictement économique, la jument était sans aucune valeur au jour de l’euthanasie, selon la Cour. La propriétaire de la jument ne pouvait espérer récupérer en justice le prix d’achat de la jument payé le 15 février 2015. La Cour accorde une somme de 150 $ en dommages moraux à la propriétaire de la jument pour la perte de son animal.
Concernant le foin, la propriétaire de l’écurie reconnaît qu’elle doit l’argent. Par ailleurs, la condition au remboursement était d’en avoir les moyens financiers. Dans ce contexte, la Cour prend acte de la reconnaissance de dette par la propriétaire de l’écurie envers la propriétaire des juments et accorde un délai de paiement sans intérêt, soit cinq paiements mensuels de 430 $ pour un total de 2 150 $.
Quant à la réclamation en dommages de la propriétaire de l’écurie contre la propriétaire des juments pour diffamation sur un réseau social, la Cour rappelle qu’elle ne peut trancher la question, n’ayant pas la juridiction pour le faire. En d’autres mots, la propriétaire de l’écurie (et toute personne lésée par des propos diffamatoires) doit s’adresser à la Cour du Québec « régulière » et non à la Division des petites créances.
Soulignons qu’en aucun temps la Cour n’accorde de la mauvaise foi à la propriétaire de l’écurie ou quelque faute que ce soit. Le bien-fondé et la nécessité de l’euthanasie ne semblent pas remises en question, à tout le moins dans ce qui est rapporté dans le jugement écrit.
Ce qu’il faut retenir
Le don est un contrat nommé au Code civil du Québec. Comme tout contrat spécifique, il est régi par des règles précises qui lui sont propres. Dans le cas à l’étude 1, il aurait été préférable pour les deux parties de convenir clairement de l’entente par écrit concernant la propriété ou la garde des juments et le remboursement, ou non, du foin. L’échange courriel a pu servir, ici, à éclaircir le litige, mais pensons à un autre cas de figure où toute la preuve serait verbale. La tâche de la Cour pour démêler le vrai du faux devient ardue et les risques augmentent de ne pas réussir à convaincre la Cour de sa position. La morale de cette histoire ? Que vous souhaitiez donner un cheval ou en accepter un que l’on vous offre, ne prenez pas de risques et faites un contrat pour officialiser la transaction et les conditions, même s’il n’y a pas d’échange monétaire.
NOTE
1 Labonté c. Auberger, 2022 QCCQ 328