PAR Me BENJAMIN POIRIER,
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE - LAVERY ARTICLE PARU DANS
CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - PRINTEMPS 2019 - VOL.37 NO.1 |
Vrai ou faux ?
Les frais d'équitation sont admissibles à titre de déductions fiscales L’équitation de compétition coûte cher. Tellement cher que bien des gens peuvent y engloutir la quasi-
totalité de leurs revenus. C’est la réalité d’une passion à laquelle plusieurs cavaliers et propriétaires de chevaux s’adonnent sans compter. Cela dit, il est possible dans certains cas de réduire les coûts (et de réaliser des profits) en déduisant certaines dépenses du revenu imposable. C’est l’opinion de la Cour du Québec rendue dans l’affaire Weaver contre l’Agence du Revenu du Québec1. Les faits Monsieur Brian Weaver a créé une entreprise équestre et déduisait ses dépenses d’équitation des revenus générés par les prix gagnés en concours et le transport de chevaux. L’entreprise équestre de M. Weaver était destinée à opérer au bénéfice de ses deux filles, dont Amanda, lesquelles étaient entraînées par le célèbre Paul Harper. En fait, M. Weaver, conscient que la passion équestre de ses filles ne se tarirait probablement jamais, et sensible au rêve olympique d’Amanda, a mis sur pied une entreprise qui incluait l’achat de trois chevaux de compétition de haut niveau, Sevastien K, Just Imagine et Day Brake. Il a aussi acheté une remorque pour les transporter et enfin, une caravane où sa famille était logée durant les concours. Les chevaux étaient montés par les filles Weaver et l’entraîneur Harper dans les compétitions équestres au Québec, en Ontario, au Vermont, à New York et en Floride. M. Weaver se servait également de la remorque pour transporter d’autres chevaux. A terme, M. Weaver espérait que l’entreprise, alors déficitaire, générerait suffisamment de revenus pour conserver un profit au-delà des lourdes dépenses d’exploitation. Sommairement, le bilan financier de l’entreprise équestre se déclinait comme suit : de 2005 à 2007, Amanda a déclaré au fisc des prix gagnés en concours d’environ 1 700 $ annuellement ; d’octobre 2009 à avril 2010, le transport de chevaux a généré des revenus déclarés de 5 000 $ pour des dépenses de transport de 20 000 $ ; de 2003 à 2008, l’entreprise avait des revenus bruts moyens annuels de 3 729 $ pour des dépenses d’entreprise annuelles moyennes de 44 027 $. Bref, le moins que l’on puisse dire c’est que la rentabilité n’était pas au rendez-vous, du moins pas encore selon la position et le plan d’affaires de M. Weaver. Considérant l’absence de « commercialité » des opérations équestres, l’Agence du Revenu du Québec a refusé les déductions de dépenses d’entreprise en invoquant que l’activité était essentiellement personnelle aux filles Weaver, qu’il s’agissait plutôt d’un sport financé par les contribuables, que l’activité d’entreprise n’avait généré aucun profit et n’avait aucune attente raisonnable de profits, à court, moyen et long terme. La loi de l’impôt Il est vrai que la loi permet à toute entreprise de déduire ses dépenses contre ses revenus2. Afin de déterminer si l’entreprise de M. Weaver était de ce nombre, le tribunal devait répondre à deux questions : 1) est-ce que l’activité d’entreprise est clairement commerciale ou si elle comporte des éléments personnels et 2) est-ce que les éléments personnels sont présents, l’activité d’entreprise équestre est-elle exercée néanmoins d’une manière commerciale. Le réflexe naturel dans un cas comme celui-là est de conclure qu’il s’agit d’un montage fiscal « créatif » pour financer les coûts d’une pratique équestre aux dépens des contribuables, puisque l’entreprise n’a jamais généré de profits et que la dimension loisir est présente. Mais la Cour du Québec a émis une opinion différente. Par contre, plusieurs éléments commerciaux doivent faire partie de la réalité des opérations de toute entreprise de ce genre afin que les dépenses puissent être déduites des revenus. Une entreprise clairement commerciale ou personnelle ? La cour retient de la preuve, qu’à la base, l’entreprise équestre avait été créée pour permettre à Amanda, qui était passionnée d’équitation, de vivre le rêve olympique. À cette époque, elle était âgée de 14 ans. C’est donc M. Weaver qui a entrepris les démarches en achetant trois chevaux de bon calibre et en retenant les services d’un entraîneur de compétence internationale avec l’idée précise de pourvoir au développement athlétique d’Amanda et des chevaux. Il est par ailleurs important de noter que l’épouse de M. Weaver faisait du démarchage pour sa fille sur les lieux des concours. Beaucoup de publicité était déployée autour de la candidature d’Amanda comme cavalière de compétition, si bien que des commanditaires se sont dits intéressés à la financer dans une certaine mesure. Mentionnons également que Mme Weaver était « juge rapporteur » lors des compétitions. De plus, M. Weaver avait acheté une remorque pour faire du transport de chevaux et ainsi générer certains revenus. Considérant ces faits, le juge de la Cour du Québec en est venu à la conclusion que l’activité de l’entreprise comportait une dimension de loisir indéniable. Suite à la réponse de la cour à cette première question, voyons sa réponse à la deuxième. L’esprit d’entreprise et la poursuite du profit En second lieu, pour avoir droit aux déductions de ses dépenses équestres, l’entreprise devait être exercée d’une manière commerciale. En clair, M. Weaver devait démontrer une intention ferme d’atteindre son but, qui était le profit. Une entreprise doit être exploitée avec rigueur dans l’intention prédominante de générer des profits. Il ne faut pas tomber dans le piège d’analyser le sens des affaires de celui qui dirige l’entreprise, mais plutôt étudier la probabilité du profit, le caractère réaliste du plan d’affaires et des efforts déployés. Une entreprise déficitaire n’en est pas moins une activité « commerciale », a rappelé la Cour. Après avoir pris connaissance de la preuve établissant la manière avec laquelle était gérée l’activité d’entreprise équestre de M. Weaver, la Cour en est venue à la conclusion qu’effectivement, l’objectif premier était de générer des profits même si dans les faits les pertes d’entreprise n’ont fait que s’accumuler avec les années. La création d’une entreprise équestre La Cour a ainsi conclu que M. Weaver avait droit aux pertes d’entreprise qui lui avaient été refusées par l’Agence du Revenu du Québec pour chacune des déclarations de revenus des années concernées. Cette décision assez singulière dans le monde équestre semble selon nous s’appuyer sur un solide raisonnement juridique inspiré des enseignements de la Cour d’appel du Québec et de la Cour suprême du Canada en pareille matière. L’attente raisonnable de profit peut et doit déterminer si l’objectif prédominant de l’activité est la commercialité de l’entreprise ou, au contraire, le loisir. Les efforts de gestion d’entreprise de M. Weaver pourraient servir à inciter plusieurs parents d’enfants passionnés d’équitation à explorer la possibilité de créer une entreprise équestre au Québec pour amoindrir les coûts de l’équitation de compétition et générer d’éventuels profits. RÉFÉRENCES :
1 Weaver c. Agence du Revenu du Québec, 2017 QCCQ 12967 2 Loi sur les impôts, RLRQ, c. 1-3, art. 80, 81 et 128 |