PAR Me BENJAMIN POIRIER,
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE - LAVERY ARTICLE PARU DANS
CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - PRINTEMPS 2018 - VOL.36 NO.1 |
Ces propriétaires de chevaux impliqués dans la gestion d'écurie : cas pratique
Les centres équestres sont habituellement très accommodants envers les besoins spécifiques de chaque cheval en pension. D’abord, dans un souci constant d’offrir le maximum de bien-être à l’animal. Puis, pour donner du bon service à la clientèle. Certains propriétaires de chevaux participent activement à la gestion des soins que le centre équestre prodigue à leur animal. Plusieurs n’hésitent pas à payer certains coûts supplémentaires associés, par exemple, à la nourriture de qualité supérieure ou aux suppléments vitaminiques. L’affaire Heafey c. Cléroux, découle d’une relation contractuelle fort habituelle où Mme Heafey a mis ses chevaux en pension chez M. Cléroux moyennant un paiement mensuel. La relation s’est détériorée après quelques mois. Mme Heafey a réclamé de M. Cléroux une somme de 5 271,99 $ en alléguant que ses chevaux ont reçu de mauvais soins et qu’elle a engagé des dépenses supplémentaires. Les faits Mme Heafey était propriétaire de deux chevaux, dont la jument Aisha qui a une santé fragile. En mars 2015, elle a confié ses chevaux à M. Cléroux, qui en possédait déjà six. M. Cléroux est informé de la santé fragile d’Aisha. Le coût de la pension comprenait l’utilisation d’un abri déjà sur place, la fourniture de foin de qualité et un accès au pâturage lorsque cela était possible. Dès juillet 2015, Mme Heafey considérait que les services fournis par M. Cléroux se détérioraient. Selon elle, la qualité du foin utilisé pour nourrir les chevaux était pitoyable et les chevaux étaient rarement mis dans le pâturage. Durant la période estivale, Aisha est tombée malade. Des antibiotiques lui ont été administrés, mais la santé de la jument ne s’est pas améliorée. Mme Heafey a décidé de s’occuper elle-même de la situation. Avec la permission de M. Cléroux, elle a fait construire un abri amovible et une mangeoire pour ses deux chevaux sur le terrain de M. Cléroux et a décidé de fournir elle-même le foin. Le prix de la pension mensuelle est réduit en conséquence. Mme Heafey s’est procurée elle-même 160 balles d’environ 45 livres, calculant 20 balles par mois, par cheval. Le foin aurait dû lui durer jusqu’en mars 2016. Or, en janvier 2016, Mme Heafey constatait que le lot de foin se vide très rapidement et que ses chevaux ne sont pas les seuls à profiter du foin. M. Cléroux a admis que ses six chevaux en mangeaient aussi. La relation contractuelle entre les parties s’est terminée en janvier et Mme Heafey a retiré ses chevaux. Elle a transmis une mise en demeure à M. Cléroux afin de pouvoir récupérer son abri au dégel du printemps. M. Cléroux lui a répondu qu’elle pourrait récupérer son abri avant le 15 mai 2016 et qu’après cette date, l’abri deviendrait sa propriété. En raison du fait que la réponse de M. Cléroux fut reçue après la date butoir, elle n’a jamais récupéré son abri. Mme Heafey réclamait 5 271,99 $ détaillé de la façon suivant :
devait convaincre le tribunal que sa version des faits était la plus vraisemblable. Le contrat de pension Le contrat de pension est un contrat de services. En effet, M. Cléroux s’était engagé à s’occuper des chevaux, à les nourrir et à les sortir dans le pâturage, entre autres. Selon la loi, M. Cléroux était tenu d’agir dans l’intérêt supérieur de Mme Heafey et de ses chevaux. La réclamation Les frais pour l’abri et la mangeoire Mme Heafey n’a pas eu la chance de récupérer son abri. Le tribunal a conclu que Mme Heafey avait raison de croire qu’elle ne pourrait jamais le récupérer. Lors du procès, M. Cléroux a offert de rendre l’abri. Le tribunal a statué que cette offre était tardive et a condamné ce dernier à rembourser un montant équivalant à la valeur de l’abri. Mme Heafey a déposé au dossier des factures indiquant le coût des matériaux, et de la main-d’oeuvre. Par contre, aucune preuve ne fut déposée au dossier pour les autres coûts liés à la mangeoire. La loi prévoit qu’il faut considérer la dépréciation d’un bien afin que la somme à payer reflète la valeur actuelle de l’abri et non la valeur au moment de sa construction. Le tribunal a conclu qu’une dépréciation de 15 % était raisonnable et le défendeur a été condamné à rembourser 1 615,54 $. Les frais de vétérinaire et de transport pour Aisha En ce qui concerne la réclamation des frais de vétérinaire et de transport pour Aisha, afin d’engager la responsabilité de M. Cléroux à cet égard, Mme Heafey devait faire la preuve que la maladie de sa jument était directement liée à la mauvaise qualité du foin. Les deux parties au litige ont fourni une preuve contradictoire quant à la qualité du foin et aucun expert ne s’est prononcé sur la question. La preuve de Mme Heafey n’est pas probante sur le fait que le foin était de mauvaise qualité et que celui-ci a causé la maladie d’Aisha. D’autant plus que tous les chevaux ont mangé le même foin et seule Aisha est tombée malade. Le lien de cause à effet n’ayant pas été établi, le tribunal n’a pu obliger le défendeur à rembourser la demanderesse relativement aux frais afférents à la maladie d’Aisha. Le coût du foin Il est admis que tous les chevaux de l’enclos, y compris ceux de M. Cléroux, ont mangé le foin que Mme Heafey avait acheté. Il aurait effectivement été difficile d’empêcher les chevaux de manger l’un ou l’autre des foins. Malgré cela, le tribunal a conclu que M. Cléroux était responsable du préjudice que ses chevaux ont causé à Mme Heafey. Mme Heafey n’a déposé aucune preuve du nombre de balles de foin qu’elle s’est effectivement procurée ni du coût de celles-ci. Vu le manque de preuve, le tribunal a dû établir le coût d’une balle à 4 $. De plus, le tribunal a estimé qu’il était improbable que les six chevaux de M. Cléroux aient mangé plus de 50 balles du lot complet de 160 balles de foin. M. Cléroux a été condamné à payer 200 $ (50 balles de foin à 4 $). La conclusion Nous retenons de cette décision qu’un centre équestre est toujours responsable de la gestion de l’écurie, même dans un cas où un propriétaire de cheval est plus « investi » dans la qualité et la nature des soins prodigués à son cheval. Il est préférable de s’entendre par écrit sur tout arrangement spécial sortant du cadre habituel des services inclus dans le coût de la pension. Finalement, nous observons que Mme Heafey n’a pu établir la preuve de ses dommages au-delà de 1 815,54 $ sur sa réclamation totale de 5 271,99 $. En d’autres mots, même un règlement à l’amiable à 50 % de sa réclamation aurait été plus rentable pour Mme Heafey, comme quoi un règlement à l’amiable vaut souvent mieux qu’un jugement. |