PAR Me BENJAMIN POIRIER,
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE - LAVERY ARTICLE PARU DANS
CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - ÉTÉ 2018 - VOL.36 NO.2 |
Jugements rendus : trois figures de cas expliqués
Pour notre deuxième chronique de l’année, nous nous penchons sur trois décisions judiciaires d’intérêt pour la communauté équestre. La première décision traite de la responsabilité d’un propriétaire de chevaux pour les dommages causés à autrui. La deuxième confirme la validité d’une clause d’exclusion de la garantie légale de qualité dans un contrat de vente de cheval. Enfin, nous portons la dernière décision à l’attention des propriétaires de centres équestres victimes de défauts de paiements de pensionnaires, et de leurs clients. Accident de la route à Rimouski : mort de deux chevaux Avec l’évolution des transports, la voiture a fini par rattraper et dépasser le cheval. Aujourd’hui, les voitures sont puissantes et prennent leur revanche sur les chevaux. C’est ce qu’a appris à ses dépens un propriétaire de chevaux de la région de Rimouski. Dans l’affaire Gagné c. Bérubé1, M. Stéphane Gagné poursuivait M. Jean-Luc Bérubé pour une somme de 15 929,07 $ suivant les dommages causés à son véhicule qui a percuté deux chevaux. De son côté, M. Bérubé réclamait à M. Gagné 15 000 $ pour la perte de ses chevaux. C’est au petit matin du 28 février 2014 : M. Gagné se rend à son travail alors que la neige tombe dru et s’accumule sur la chaussée. Il circule à la limite permise de 90 km/h lorsqu’il aperçoit des masses foncées du côté gauche de la route. Malheureusement pour les chevaux, il est trop tard lorsqu’il comprend ce que sont ces masses foncées, alors qu’il percute violemment deux chevaux sur trois. L’impact est tel que M. Gagné ne réussit à s’extirper du véhicule endommagé qu’après maints efforts. Le véhicule est remorqué, c’est une perte totale. Les blessures de M. Gagné nécessitent un arrêt de travail d’environ 6 mois. Alerté, M. Bérubé constate que ses deux chevaux, un poulain d’un an et une jument de quatre ans, sont gravement blessés. Il doit prendre la décision difficile de les abattre sur-le-champ. L’enquête judiciaire a révélé que l’enclos des chevaux, bien qu’électrifié, est doté d’une barrière n’étant fermée qu’à l’aide d’une broche. Le tribunal conclut que le propriétaire des chevaux en liberté est responsable, car il a fait preuve de négligence en ne s’étant pas assuré que ses chevaux restent dans l’enclos. Manifestement, la broche qui retenait la barrière fermée n’est pas suffisamment solide, puisqu’elle a été retrouvée brisée. De plus, en hiver, la neige peut ensevelir une clôture et permettre aux chevaux de sortir facilement, ce qui a également pu être le cas en l’espèce. Le demandeur Gagné réclame 10 929,07 $ pour son véhicule endommagé, mais ne reçoit que 8 050 $, soit la valeur d’un véhicule comparable au jour de l’accident. Il réclame aussi 5 000 $ en perte de revenus et limitations fonctionnelles. Le tribunal ne lui accorde rien, puisque la Loi sur l’assurance automobile du Québec prévoit déjà des indemnités aux victimes d’accident de la route. Les victimes comme M. Gagné ne peuvent donc réclamer en justice aucune somme additionnelle. Quant à la réclamation de 5 000 $ de M. Bérubé pour la perte de chevaux abattus, le tribunal a statué que toute cette histoire est causée par sa propre négligence, sans aucune faute de la part du conducteur. Il est donc logique et conséquent que le tribunal refuse la demande de M. Bérubé. M. Bérubé réclamait aussi 10 000 $ en dommages moraux pour la peine causée par la perte des chevaux. Vu que le tribunal conclut à la négligence de M. Bérubé, il ne lui accorde aucun montant à ce titre. Cette décision de la Cour du Québec peut nous paraître sévère, puisque du point de vue d’un propriétaire et amateur de chevaux, la perte de deux chevaux est plus dramatique qu’une voiture accidentée. Par ailleurs, nous retenons de cette décision qu’un propriétaire de cheval est toujours responsable des dommages que son animal cause au matériel et aux personnes. Il peut exister des circonstances atténuantes dans certains cas, mais il est très difficile pour un propriétaire de cheval d’éviter sa responsabilité lorsque son animal cause un dommage. Rappelons, par ailleurs, que M. Gagné a subi des blessures. Nous retenons également que l’accident s’est produit en février 2014, mais que le procès n’a eu lieu qu’en novembre 2017. Nous ignorons s’il aurait été possible de régler cette affaire hors cour, mais nous tenons à attirer l’attention sur les délais judiciaires qui parfois doivent être considérés tant en demande qu’en défense. La négociation à l’amiable d’une solution mitoyenne est parfois préférable au risque d’un jugement condamnant entièrement une partie. Même pour la partie qui a gain de cause, l’attente peut être longue et personne ne peut prédire la décision qui sera finalement rendue. La vente de chevaux sans garantie légale : le Tribunal reconnaît la validité de la clause Dans une affaire de vente de cheval2, M. Claude Synnott poursuit Mme Amélie Aubut, alléguant que le cheval qu’il a acheté a un vice caché, soit une anomalie osseuse au niveau des jarrets. Des faits de cette affaire, nous retenons qu’il s’agit de la vente d’un cheval Quater Horse âgé de 2 ans. Comme il est de plus en plus fréquent de nos jours, la venderesse, Mme Aubut, a publié des messages sur les médias sociaux au sujet de son cheval à vendre, ce qui n’a pas manqué d’attirer l’attention de M. Synnott. Après quelques échanges de photographies et de vidéos du cheval, M. Synnott se présente chez Mme Aubut, inspecte sommairement le cheval et signe le contrat de vente. Après quelques jours, le cheval semble avoir mal à la patte arrière droite. Le médecin vétérinaire, Dr Christophe Céleste, conclut que des anomalies osseuses des jarrets découlent d’une ostéoarthrose, une maladie dégénérative touchant les articulations. Le cheval, qui a ce problème depuis son plus jeune âge, ne pourra jamais participer à des compétitions. M. Synnott prend la douloureuse décision d’euthanasier son cheval, puisque les parties n’ont pu s’entendre hors cour pour annuler la vente. La particularité de cette affaire tient au fait que le contrat de vente contient une clause d’exclusion de la garantie légale de qualité. La clause a été rédigée de manière à ce que la vente soit faite « telle quelle » et « sans aucune garantie légale », spécifiant que cette limitation s’applique à tout ce qui pourrait avoir un lien avec la blessure au jarret droit. Il est utile de noter qu’avant la transaction, il y a eu une négociation sur le prix, car la venderesse, Mme Aubut, avait divulgué l’ancienne blessure au jarret droit qui n’est plus handicapante, selon elle. Nous avons déjà mentionné dans nos chroniques et dans nos conférences qu’il est possible d’exclure la garantie légale de qualité lorsqu’on vend un cheval, mais qu’il faut alors que ce soit très clair puisque la garantie est la règle, et la limitation de responsabilité, l’exception. Une expression comme « vendu tel que vu » a déjà été considérée trop ambiguë pour conclure que les parties ont effectivement voulu procéder à une vente sans garantie légale de qualité. Le tribunal a analysé le libellé de la clause de limitation de garantie contenue dans le contrat de vente et conclut qu’il est clair que le demandeur, M. Synnott, a effectivement acheté à ses risques et périls, sans aucune garantie légale de qualité. Dans un tel cas, la seule manière de contester la validité du contrat et d’obtenir l’annulation de la vente, ou des dommages et intérêts, est de démontrer qu’un vendeur a fait de fausses représentations ou qu’il a caché des éléments essentiels quant à la santé de l’animal. Rappelons qu’une vente sans garantie légale de qualité ne peut jamais mettre un vendeur à l’abri d’un recours judiciaire, un vendeur qui fait de fausses représentations ou passe sous silence des éléments importants sur la santé de l’animal. Après la vente, lors de la découverte du problème de boiterie, M. Synnott fait prendre des radiographies et des échographies qui révèlent la maladie articulaire dégénérative. Le vétérinaire, Dr Céleste, conclut d’ailleurs que la boiterie chronique de l’animal n’a aucun lien avec la blessure au jarret. Le tribunal a donc statué que c’est après la vente que la maladie articulaire a été découverte, que la venderesse Mme Aubut l’ignorait au moment de la vente et qu’elle n’a donc pu faire de fausses représentations sur quelque chose dont elle n’était pas au courant. N’ayant pas pu faire la preuve de fausses représentations de la part de Mme Aubut, le recours de M. Synnott est rejeté. Nous retenons de cette décision qu’il est possible d’exclure la garantie légale de qualité, mais que la clause à cet égard doit être claire et non ambiguë. Nous recommandons toujours d’écrire, dans ce cas, que « la vente est faite sans garantie légale de qualité, aux risques et périls de l’acheteur » et d’ajouter au contrat les éléments sur l’état de santé du cheval qui pourraient faire l’objet d’une discussion entre acheteur et vendeur. Un achat sans garantie légale de qualité rend l’acheteur très vulnérable à la découverte subséquente de problèmes, puisque sans recours judiciaire. C’est pourquoi nous recommandons fortement qu’un vétérinaire équin procède à une inspection préachat, d’une part, et d’autre part, de conserver des traces écrites des négociations. Nous comprenons que le prix peu élevé de certains chevaux ne justifie pas toujours la dépense pour une inspection préachat. Cette réalité motive des acheteurs à procéder à des transactions rapidement. Dans ce cas-ci, le Dr Céleste a rapidement diagnostiqué une maladie articulaire dégénérative. S’il avait eu le mandat d’inspecter l’animal, nous présumons que ce diagnostic aurait pu être posé avant la transaction, ce qui aurait peut-être évité l’euthanasie d’un cheval. Saisie d’un cheval pour des mois de pension impayés Finalement, nous avons fait le suivi judiciaire d’une affaire rendue en juillet 20173. Mme Linda Maltais, faisant affaire sous le nom de Les Écuries Barock, a obtenu un jugement contre Mme Kym Gagnon-Savard pour des mois de pensions impayées totalisant 1 484,54 $. N’ayant pas été payée, Mme Maltais a procédé à une saisie du cheval et des équipements de Mme Gagnon- Savard. Cette saisie a été accordée.4 NOTES :
1 Gagné c. Bérubé, 2018 QCCQ 820. 2 Synnott c. Aubut, 2018 QCCQ 1282. 3 Maltais (Écuries Barock) c. Gagnon-Savard, 2017 QCCQ 10121 4 Maltais c. Gagnon-Savard, 2017 QCCQ 15806 |