PAR Me BENJAMIN POIRIER,
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE - LAVERY ARTICLE PARU DANS
CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - ÉTÉ 2017 - VOL.35 NO.2 |
Les enjeux de sécurité associés à l'équitation
Les dommages économiques importants liés à des blessures corporelles résultant d’un accident durant la pratique de l’équitation créent souvent des conditions propices à un recours en responsabilité contre un centre équestre. La présente chronique tente d’établir les bonnes pratiques que doit adopter un centre équestre afin de remplir son obligation de sécurité pour la pratique de l’équitation. Dans l’affaire Harvey c. Centre Équestre La Martingale 1 (ci-après « Centre Équestre »), la victime poursuit un centre équestre. Elle allègue avoir subi des dommages d’une valeur de 639 528,91 $ à l’occasion d’une chute de cheval lors d’une randonnée. La victime était une cavalière inexpérimentée souffrant d’obésité morbide. Le Centre Équestre l’a jumelée avec un cheval de 15 mains. La randonnée se déroule au pas et au trot. À quelques reprises, la monture s’arrête pour brouter, puis se remet à trotter pour rattraper le groupe. Ce serait lors de l’un de ces épisodes de trot que la demanderesse a chuté. Après la chute, la demanderesse n’a pas dénoncé au guide de randonnée les douleurs qu’elle aurait subies ni requis aucun soin médical. Ce n’est que le lendemain qu’elle s’est rendue à l’urgence. LE FARDEAU DE LA PREUVE Il est établi qu’un centre équestre doit fournir un environnement et des chevaux sécuritaires. Or, dans un dossier de responsabilité civile de cette nature, il incombe à la victime de démontrer la faute commise par le centre équestre et le lien direct entre celle-ci et les blessures corporelles. Pour prouver la faute, la victime doit démontrer que le centre équestre a été imprudent, par exemple, en n’ayant pas transmis toute l’information nécessaire pour la pratique de l’équitation. En défense, un centre équestre doit démontrer avoir pris tous les moyens raisonnablement nécessaires pour s’assurer que la pratique de l’équitation se déroulait dans un cadre sécuritaire et que tous les risques avaient été entièrement dévoilés aux cavaliers. Quant aux risques du sport, les risques inhérents sont présumés connus et acceptés par tout cavalier. Dans l’affaire du Centre Équestre La Martingale, la demanderesse devait, pour avoir gain de cause, faire état des informations précises qui n’auraient pas été portées à sa connaissance et sur le fondement desquelles elle n’aurait pas accepté de pratiquer l’équitation. LES ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE La demanderesse a maintenu que le Centre Équestre avait commis les fautes suivantes : A. elle n’a pas été suffisamment informée des risques inhérents à la pratique de l’équitation et, si elle l’avait été, elle n’aurait pas participé à l’activité ; B. compte tenu de son poids, elle n’aurait pas dû être autorisée à pratiquer l’équitation ; C. elle n’aurait pas dû être jumelée à un cheval de 15 mains ; D. elle n’a pas reçu les consignes adéquates pour contrôler le cheval ; E. elle n’a pas été informée de se tenir équilibrée sur le cheval en s’agrippant au pommeau ; F. la randonnée a été prolongée de 30 minutes sans son consentement ; G. le Centre Équestre ne lui a prodigué aucun soin adéquat immédiatement après la chute. LES CONCLUSIONS DU TRIBUNAL La demanderesse était consciente des risques associés à la pratique de l’équitation. D’une part, elle avait signé un formulaire lors de l’accueil au Centre Équestre intitulé « Reconnaissance et acceptation des risques » dans lequel le Centre Équestre décrivait les risques associés à la pratique de l’équitation. D’autre part, le Tribunal est d’avis que toute personne raisonnable qui choisit de pratiquer cette activité est au fait du risque inhérent de chute et présumée avoir accepté tel risque. À cet égard, nous nous permettons de citer le raisonnement du Tribunal : [74] S’ajoute à ces considérations, une présomption forte selon laquelle il n’est pas nécessaire d’être informé du risque de tomber d’un cheval dont l’allure est le pas ou le trot lorsqu’on monte à cheval pour la première fois. Le gros bon sens veut qu’un adulte le moindrement normal et raisonnable sera conscient du risque de tomber d’un cheval s’il ne se tient pas correctement. Mme Harvey pratiquait des sports tel monter sur des VTT. Il est de connaissance judiciaire qu’il faut se tenir correctement sur un VTT en raison du risque d’accident inhérent à ce sport. Dans les deux sports, il faut garder l’équilibre puisque la chute est un risque inhérent. La demanderesse invoquait à tort que le Centre Équestre aurait dû l’empêcher de prendre part à l’activité de randonnée, contre son gré. Le Centre Équestre était bien fondé de ne pas refuser l’accès à la pratique de l’équitation à la demanderesse sur le fondement de son poids puisqu’il s’agit d’un motif de discrimination interdit par la Charte des droits et libertés de la personne 2.
Le Centre Équestre n’a commis aucune faute en ayant jumelé la demanderesse pesant 320 lb à un cheval de 15 mains. De plus, il n’existe aucun lien de causalité entre le choix du cheval et la chute ; en effet, selon le témoignage de la demanderesse, la chute aurait été causée par un arrêt brusque du cheval et non pas sa taille. La demanderesse n’a pas démontré quel type de cheval aurait été approprié pour elle et en quoi cet autre type de cheval aurait fait en sorte qu’elle n’aurait pas chuté. Toutes les informations nécessaires au maniement du cheval ont été données à la demanderesse avant le départ, soit faire avancer le cheval avec les talons et utiliser les rênes pour tourner et arrêter la monture. Quant à l’utilisation du pommeau, la preuve étant contradictoire à cet égard, le Tribunal conclut qu’à tout événement, une personne raisonnable aurait d’emblée compris qu’il fallait se tenir au pommeau pour maintenir une stabilité et éviter de tomber. Sur la question de la durée prolongée de la randonnée, le Tribunal est d’avis que le Centre Équestre n’avait commis aucune faute. Encore une fois, il n’y a aucun lien de causalité entre la durée prolongée de la randonnée et la chute de la demanderesse, d’autant plus que cette dernière n’a pas protesté et n’a pas demandé d’être reconduite à l’accueil avant la fin. Quant à l’obligation de prudence raisonnable, le Centre Équestre a posé tous les gestes et pris tous les moyens, tant avant que pendant la randonnée et suivant la chute. La demanderesse a elle-même affirmé à l’occasion de son témoignage qu’elle n’avait pas signalé au guide de randonnée ses douleurs suivant la chute « par orgueil » ni requis aucune intervention particulière de la part du Centre Équestre. LES BONNES PRATIQUES À ADOPTER Nous sommes d’avis que cette décision de la Cour supérieure est bien fondée et qu’elle illustre très clairement les bonnes pratiques en matière de sécurité que tout centre équestre doit adopter. Selon nous, l’obligation de prudence et d’information est bien remplie lorsqu’un centre équestre adopte les pratiques suivantes : A. attribuer un cheval calme, docile, et suffisamment costaud ; B. utiliser des accessoires appropriés et en bon état ; C. donner les renseignements nécessaires sur le caractère du cheval, la façon de le conduire, la présence du pommeau, le cas échéant ; D. informer clairement le client, à l’aide d’un document à être signé, des risques inhérents à l’équitation, telles les chutes et les blessures qui peuvent en résulter comme des foulures, fractures et entorses ; E. effectuer la randonnée sur un trajet convenable pour ce genre d’activité, notamment des sentiers réservés exclusivement à la balade équestre, sur un terrain relativement plat et bien entretenu. Nous notons que la certification « Équi-Qualité » de Cheval Québec est accordée seulement aux centres équestres se conformant à des critères précis et vérifiés en matière de sécurité des lieux et de compétence des intervenants. À notre opinion, cela ne peut qu’être garant que les bonnes pratiques y seront observées. 1. 2016 QCCS 3573 2. RLRQ c. C-12. |