PAR ANGIE BEAUDET
ARTICLE PARU DANS
CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - ÉTÉ 2017 - VOL.35 NO.2 |
Les ulcères gastriques : prévenir le mal invisible
Contrairement à la pensée populaire, les ulcères gastriques sont extrêmement fréquents chez le cheval. Il est estimé que, jusqu’à 93 % des chevaux de courses, 70 % des chevaux d’endurance et 60 % des chevaux de compétition, en sont atteints. Affectant également jusqu’à 50 % des poulains, aucune catégorie de chevaux en est exempte, incluant les chevaux qui ne sont pas travaillés. Quoique cette condition produise une douleur intense, les symptômes et signes cliniques d’ulcères gastriques, quant à eux, sont relativement subtils, raison pour laquelle ils sont souvent mal interprétés ou peuvent passer inaperçus. Savoir reconnaître les facteurs de risques et être à l’écoute du moindre symptôme devient alors un enjeu important dans la prévention et la reconnaissance de la maladie. QU’EST-CE QU’UN ULCÈRE GASTRIQUE ? L’ulcère gastrique est une plaie persistante qui affecte la paroi muqueuse de l’estomac (et parfois l’oesophage ou la région du pylore et l’entrée du duodénum à la sortie de l’estomac), et qui occasionne de la douleur. L’estomac est en fait divisé en deux sections ; la partie glandulaire (portion du fond) et non glandulaire ou squameuse (portion du haut). La partie glandulaire sécrète l’acide gastrique responsable de la digestion. La muqueuse de cette région est bien protégée contre l’érosion par l’acide et possède une couche protectrice. La région non glandulaire, quant à elle, est beaucoup plus sensible et ne possède pas cette même barrière protectrice contre l’acidité. C’est d’ailleurs souvent dans cette région, ainsi qu’à la jonction entre les deux parties que se retrouve le plus grand nombre d’ulcères. LES FACTEURS DE RISQUES Le stress Toute source de stress provoque une augmentation de la production d’acide : la séparation d’un compagnon ou du troupeau, la hiérarchie entre chevaux, beaucoup de temps en box et peu de temps en liberté, le débourrage, l’intensité de l’entraînement, les compétitions, l’environnement bruyant, etc. Lors d’une étude portant sur le lien entre le stress et les ulcères gastriques, plusieurs chevaux ont subi une gastroscopie, avant et après un voyage en remorque. Les résultats ont démontré qu’un stress, tel qu’un déplacement en remorque, pouvait créer des lésions gastriques. Plusieurs des chevaux étudiés ont d’ailleurs été diagnostiqués avec des ulcères à leur retour, tandis qu’ils ne présentaient aucune lésion gastrique avant leur départ, et ce, après qu’un seul déplacement en remorque ! Il ne faut donc pas sous-estimer les effets du stress. Bien que chaque cheval ait sa propre personnalité et que certains soient plus anxieux que d’autres, plusieurs conditions et situations causent néanmoins du stress sur l’animal. Le cheval a besoin de se sentir en sécurité, de pouvoir interagir avec ces congénères, de se détendre et de pouvoir profiter de moments de liberté afin de respecter sa nature. L’intensité de l’entraînement L’intensité du travail est également un facteur de risques important chez le cheval, non seulement par le stress qu’il engendre, mais parce qu’il compresse l’estomac et propulse l’acide vers la partie non glandulaire de l’estomac. L’intensité de l’entraînement est alors directement liée au risque de formation d’ulcères. Entraîner un cheval qui a l’estomac vide ou après un repas qui augmente l’acidité de l’estomac (repas de concentrés par exemple), contribue davantage à ce risque. Un repas de foin, particulièrement de luzerne, aurait l’effet contraire, estompant l’acidité et contribuant à maintenir le liquide gastrique au fond de l’estomac pendant la séance d’entraînement. La régie alimentaire Dans l’évolution des équidés, herbivores monogastriques, l’anatomie de leur système digestif est conçue pour digérer de petites quantités de fourrages tout au long de la journée. Les longues heures entre un ou deux gros repas par jour augmentent les risques de troubles digestifs associés aux ulcères. L’estomac du cheval produit de l’acide en continu, 24 heures sur 24 (contrairement à l’humain dont la production augmente avec un repas et diminue lorsque l’estomac est vide). Lorsque l’estomac demeure vide pendant plusieurs heures, le pH diminue (le liquide gastrique devient plus acide), tandis qu’une source continue de fourrages en petites quantités aide à maintenir un pH plus alcalin, c’est-à-dire moins acide. Même chez un cheval à l’entretien qui ne subit aucun facteur de stress, la régie alimentaire est un facteur pouvant mener au développement d’ulcères. Selon certaines études, le nombre d’heures pendant lequel l’estomac peut demeurer vide est de quatre à cinq heures. Les périodes sans nourriture de douze heures ou plus entraînent un risque accru de formation d’ulcères. L’accès au foin à volonté ou l’utilisation d’un filet ou sac à foin à alimentation lente peut grandement contribuer au processus de guérison et à la prévention de formation d’ulcères. Types d’aliments et électrolytes Quoique le cheval puisse retirer certains bienfaits des concentrés, son système digestif n’est pas conçu pour en digérer de grandes quantités. Les quantités élevées en sucre et en amidon, souvent présents dans la moulée, perturbent le pH et augmentent l’acidité de l’estomac, ayant pour conséquence un risque d’ulcères. Éviter les moulées ayant une forte concentration de sucre et d’amidon et les remplacer par des aliments riches en fibres et en gras contribue au maintien d’un pH équilibré et à un système digestif en santé. Plusieurs chevaux n’ont pas besoin de moulée dans leur alimentation. L’utilisation fréquente d’électrolytes chez les chevaux de performance a également été liée à l’irritation des lésions gastriques existantes ainsi qu’au risque d’aggraver la condition. Les anti-inflammatoires Plusieurs médicaments, plus particulièrement les anti-inflammatoires non stéroïdiens, favorisent également le développement d’ulcères. Peu importe qu’ils soient ingérés par voie orale (ex. : phénylbutazone) ou par voie systémique (injection), ils interfèrent avec le mécanisme de défense de l’estomac, empêchant celui-ci de former la barrière protectrice qui sauvegarde la paroi contre le liquide digestif acide. Il faut donc utiliser ces produits de façon judicieuse, sur une période la plus courte possible et seulement lorsqu’absolument nécessaires. Risques chez les poulains Quoique les ulcères soient souvent associés aux chevaux à l’entraînement intensif, les poulains sont tout autant à risque de développer la condition. La couche protectrice de la paroi de l’estomac n’étant pas complètement formée à la naissance, le risque de dommages par l’acide est relativement élevé lors des premières semaines de vie, surtout si le poulain ne boit pas suffisamment. Les symptômes sont quelque peu différents que chez les adultes (voir liste de symptômes) et plusieurs poulains sont asymptomatiques (ne présentent aucun symptôme) jusqu’à ce que les ulcères deviennent très sévères. Les périodes de stress, l’environnement, la séparation de compagnons, le sevrage, ainsi que les boires à intervalles irréguliers accentuent le risque d’ulcères. Il est estimé que 40 à 50 % des poulains souffriront d’ulcères en bas âge, et, selon certains ouvrages vétérinaires, ce pourcentage pourrait atteindre 90 % lors de périodes de stress intense tel que le sevrage ! S’assurer que le poulain boit suffisamment de façon régulière et diminuer le stress au maximum sont alors les éléments prioritaires dans la prévention de la condition. DIAGNOSTIC Les symptômes étant souvent non spécifiques à la condition et relativement subtils, la gastroscopie demeure la seule méthode de diagnostic et permet au vétérinaire de visionner la paroi de l’oesophage et de l’estomac en entier, d’en déterminer la présence, l’endroit et la sévérité des lésions. Un grade de 1 à 4 est alors attribué à la sévérité de la condition. Puisque cette procédure requiert généralement un déplacement à l’hôpital vétérinaire, un traitement médicamenteux est souvent tenté lorsqu’il est soupçonné que le cheval souffre possiblement d’ulcères. TRAITEMENTS Il existe une panoplie de médicaments et de suppléments sur le marché, chacun ayant l’un des trois buts suivants : réduire la production d’acide, procurer un effet tampon antiacide, ou protéger la muqueuse des effets corrosifs de l’acidité. Réduction de la production d’acide L’oméprazole (GastroGard) est un inhibiteur de pompe à protons, qui est responsable de la production d’acide. Seul médicament homologué pour usage chez les chevaux, qui fait ses preuves d’efficacité pour la guérison des ulcères. Ce traitement est prisé des vétérinaires équins. Afin d’étudier son efficacité en profondeur, le Dr Ben Sykes de l’Université du Queensland en Australie a comparé deux médicaments, l’oméprazole et l’esomeprazole (administrés par voie orale). Le résultat de ses études a démontré que l’oméprazole oral était très efficace chez les chevaux, dont l’alimentation comprend une grande quantité de concentrés. En revanche, il est moins efficace chez les chevaux qui consomment uniquement du foin. L’esomeprazole s’est avérée beaucoup plus efficace dans ce dernier scénario et a démontré beaucoup de promesses en tant que traitement alternatif contre les ulcères. Dr Sykes a ensuite mené une étude sur une forme injectable d’oméprazole, cette fois-ci sur des chevaux avec une alimentation constituée de foin uniquement. Les résultats ont démontré que le traitement supprimait l’acide efficacement pendant les quatre premiers jours et que l’effet s’estompait graduellement dans les jours cinq à sept. Ce mode d’administration pourrait alors s’avérer très intéressant, puisqu’une seule injection par semaine serait nécessaire afin d’en tirer les bienfaits.
De plus, Dr Sykes a dénoté une différence de l’apparence de la muqueuse suite à la guérison des ulcères. La muqueuse des chevaux traités à l’oméprazole oral était plus épaisse et un peu rugueuse, même après la guérison des ulcères. Les chevaux traités avec la forme injectable avaient une muqueuse qui était revenue complètement à la normale, comme s’il n’y avait jamais eu d’ulcérations. Il existe également les antihistaminiques (cimétidine, ranitidine). L’histamine responsable de stimuler la production d’acide, les antihistaminiques auraient un effet sur la quantité d’acide produite. En revanche, cette classe de médicaments est rarement prescrite en raison de son efficacité moindre par rapport aux inhibiteurs de pompe à protons. Effet tampon antiacide L’estomac produit de l’acide en continu. Aussi, les produits aux effets antiacides ne procurent qu’un soulagement temporaire (moins d’une heure) et doivent être administrés en quantités massives, quatre à six fois par jour. Pas très pratique ! Ces produits augmentent le pH de façon instantanée (diminuent l’acidité), ce qui porte certains vétérinaires à croire que ce changement drastique peut amener le corps à réagir en produisant encore plus d’acide. D’un autre côté, le foin et les granules de luzerne auraient plusieurs avantages et contribueraient grandement au maintien d’un pH équilibré. La teneur élevée en calcium serait un antiacide naturel. De plus, la quantité élevée de fibres, et le volume qu’il occupe dans l’estomac protègeraient les parties sensibles du haut de l’estomac d’éclaboussures pendant l’entraînement. La luzerne est donc un ajout intéressant à la ration particulièrement avant l’entraînement ou une période de stress. Attention : une ration contenant uniquement du foin de luzerne ne serait pas équilibrée. Bien que le foin et les granules aient tous les deux un effet bénéfique, les granules sont rapidement ingérées et la durée de leur efficacité est moins longue comparativement à une galette de luzerne servie dans un sac pour l’alimentation lente. Protecteurs de muqueuse Certains médicaments, tels que le sucralfate, ont pour effet d’adhérer à la paroi de l’estomac, et créent une barrière protectrice contre le contact avec l’acide. Cette catégorie de médicament ne semble cependant pas très efficace dans le traitement et la guérison des lésions chez le cheval. La prévention est fondamentale dans la gestion des ulcères ; la réduction du stress et de l’intensité de l’entraî-nement, ainsi qu’une modification à la régie alimentaire et le type d’aliments servis font tous partie d’une médecine préventive. Toutefois, lorsque le cheval est atteint de lésions d’ulcères, elle doit être combinée avec la médication (notamment l’oméprazole) afin de permettre la guérison des lésions. La luzerne est également un ajout intéressant à la ration, tant comme méthode préventive que lors du processus de guérison. RESSOURCES :
www.thehorse.com (Alfalfa hay reduces ulcer severity, Tips for managing gastric ulcers in performance horses, Two potential equine gastric ulcer medications analyzed, How to feed horses with gastric ulcers, Gastric ulcer supplements for horses evaluated, Electrolyte basics, Update on ulcers) www.merckvetmanuel.com (Gastric ulcers in horses, Therapy of gastrointestinal ulcers) www.equinegastriculcers.co.uk/index.html Manuel vétérinaire pour propriétaires de chevaux, N.S. Loving, 1993 Manual of Equine Practice, Rose and Hodgson, 1993 The 5-minute Veterinary Consult, Christopher M. Brown & Joseph J. Bertone, 2002 Amy Halls, nutritionniste équin |