MARINE CASSORET
Détentrice d’un doctorat en sciences animales de l’Université de Bristol, Marine Cassoret
enseigne depuis 2002 l’éthologie appliquée au niveau universitaire. Marine est également comportementaliste certifiée, spécialisée dans les troubles du comportement de l’animal domestique et de l’animal de compagnie. Ses intérêts équestres couvrent aussi bien l’équitation western que la haute école et les chevaux ibériques. |
ARTICLE PARU DANS CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - PRINTEMPS 2016 - VOL.34 NO.1
Manipulation sans stress : pour en finir avec la peur du vétérinaire
Depuis plusieurs années, une tendance s’est amorcée dans le milieu vétérinaire pour mieux prendre en compte le stress des chats et des chiens entrant en clinique. Derrière ces changements, une réflexion : pourquoi opter systématiquement pour une contention si on peut y arriver avec la coopération de l’animal ? Ainsi, lors du dernier congrès de la Société internationale des sciences de l’équitation (ISES), la Dre Gemma Pearson, vétérinaire équin, mit en avant la notion de la manipulation sans stress du cheval à l’aide d’une belle démonstration. Lors d’une étude présentée au congrès, 53 % des vétérinaires interrogés affirmaient avoir à gérer des chevaux difficiles plusieurs fois par semaine; tous les jours, environ 8 % de leurs patients étant considérés comme difficiles à manipuler. Par ailleurs, 81% des vétérinaires interrogés avaient subi une blessure majeure au cours des cinq dernières années, et parmi ces blessés, 35 % avaient nécessité un passage à l’hôpital, et 28 % avaient dû prendre des jours d’arrêt de travail. Or, il faut se rendre à l’évidence : la pratique de la médecine équine demeure un métier dangereux. Plus risqué statistiquement que le travail dans la construction ou que le métier de policier. La Dre Pearson, lors de sa présentation, mettait en avant la nécessité de mieux former les vétérinaires en théorie de l’apprentissage, mais aussi de mieux prendre en considération la préparation du cheval à des interventions courantes; une préparation dans laquelle les propriétaires et soigneurs doivent activement s’impliquer. Là où les vétérinaires pour petits animaux risquent la morsure ou le coup de griffe, la taille du patient équin et sa réponse par défaut face à une peur est en soi un risque considérable. La peur est gérée principalement par une zone du cerveau appelée amygdale. Et de tous les herbivores domestiqués par l’homme, le cheval est celui dont l’amygdale est la plus grosse. Aussi, la peur reste la solution par défaut, et chez le cheval, qui dit peur, dit fuite. Rajoutez à cela une mémoire précise et contextuelle : l’apprentissage est intimement lié à l’environnement et à la présence de certaines personnes; ce qui explique que des peurs peuvent ressurgir lorsque le cheval se trouve à un certain endroit de l’écurie (le lieu où des soins sont prodigués) ou en présence de personnes que le cheval a associées à une douleur passée (sans que ces personnes aient fait quoi que ce soit… si ce n’est avoir été présentes ou avoir tenu le cheval). PRÉVENIR POUR MIEUX GUÉRIR Dans le monde des petits animaux, la prévention se fait lors de l’examen annuel. Mais quand on parle de prévention, on parle non seulement de santé, mais de manipulation. Toute technicienne vous le dira : un chien qui se laisse tailler les griffes sans bagarre et un chat qui sort volontairement de son transporteur et se fait examiner sans griffer, c’est mieux pour l’équipe soignante et préférable pour l’animal. Pour y arriver, l’éducation du client est primordiale et se fait dans le cadre de l’examen annuel ou de la primo-vaccination du chiot et du chaton. Désormais, de nombreuses cliniques font une démonstration de ce que les clients doivent travailler à la maison, comme manipuler les pattes, les oreilles, la gueule et la queue. Aussi, en incitant l’animal à aimer entrer dans son transporteur; à aller se poser sur une carpette en échange de gâteries (carpette que l’on peut apporter ensuite en clinique lors de l’examen) ou à se rendre chez le vétérinaire pour y recevoir une gâterie, sans que rien de désagréable ne se produise, tout le monde en sortira gagnant ! En ce qui concerne le cheval, ce n’est pas si différent. Ainsi, s’il est possible de manipuler un jeune cheval afin de faciliter sa réponse aux aides plus tard, il est tout aussi envisageable de le préparer à des interventions vétérinaires courantes. Ces préparations reposent sur trois procédés d’apprentissage : l’habituation, le conditionnement classique et le conditionnement opérant. HABITUATION : FAIRE MOINS ATTENTION À QUELQUE CHOSE Les procédures vétérinaires sont souvent associées à des évènements nouveaux pour le cheval. Celui-ci a malheureusement peur de la nouveauté. Une des premières étapes est donc de faire en sorte que ce qui est nouveau retienne moins l’attention du cheval; c’est ce qu’on appelle l’habituation. Pour le faire, il est préférable d’introduire la nouveauté progressivement, plutôt qu’à pleine intensité : on se rapproche du cheval avec ce qui lui fait peur, en s’arrêtant immédiatement au moindre signe d’inquiétude, et en ne le rapprochant QUE lorsque le cheval est parfaitement calme et détendu. Aller trop vite, c’est compromettre toute la leçon et risquer que la peur revienne sans prévenir. Ainsi, mettre le cheval face à ce qui l’inquiète sans lui laisser la possibilité de s’éloigner, c’est risquer de le mettre en état d’impuissance apprise – un état qui peut avoir des conséquences désastreuses au-delà du contexte dans lequel il s’est produit. Il est donc essentiel de commencer à faible intensité, quitte à brouiller les pistes en appliquant deux stimuli en même temps; c’est ce qu’on appelle la désensibilisation par masquage. Les vétérinaires l’utilisent souvent en gratouillant le cheval autour d’un site d’injection. On peut aussi demander au cheval de répondre à la pression du licou ou l’action du mors de filet, en alternant avancer et reculer de quelques pas, tout en présentant la source d’inquiétude à faible intensité. Un cheval « lourd » au reculer indiquera que son attention est dirigée vers le second stimulus. Lorsque celui-ci recule légèrement, son attention est en train de se rediriger vers l’action du mors ou la pression exercée sur le chanfrein. CONDITIONNEMENT CLASSIQUE : ASSOCIER QUELQUE CHOSE À UNE SENSATION AGRÉABLE La désensibilisation peut être associée à une autre forme d’apprentissage, soit le conditionnement classique. Ici, le cheval fait une association entre deux évènements qui se produisent simultanément. Un stimulus inconnu et un stimulus ayant une signification pour lui (p. ex. de la nourriture). Le conditionnement classique est souvent établi par inadvertance lorsque le cheval associe la présence du vétérinaire avec une douleur. Ici, on utilise le même procédé à notre avantage, soit en associant la présence du vétérinaire, ou de tout ce qui indique une procédure (vermifuge, seringue, contact de l’alcool sur la peau), avec quelque chose d’agréable. Par exemple, 1/2 seconde après qu’il ait senti le contact de l’alcool sur sa peau, on lui donne une gâterie. Le fait de changer l’état émotionnel sous-jacent de l’animal, qui avait à l’origine peur de ces stimuli, est appelé le contre-conditionnement. Étant donné qu’il s’agit d’un herbivore mangeant de 16 à 18 h par jour, la nourriture s’avère généralement ce qui fonctionne le mieux. Saviez-vous que ... CONDITIONNEMENT OPÉRANT : RENFORCER LE COMPORTEMENT DÉSIRÉ EN ÉCHANGE DE CE QUE VEUT LE CHEVAL
Le conditionnement opérant est une forme d’apprentissage ou le cheval apprend selon les conséquences de son comportement. Si la fuite ou un coup de pied lui a permis d’échapper à une situation désagréable, il est garanti que cela se reproduira dans le futur ! Mais alors, faut-il insister pour lui montrer qu’il n’a pas le choix ? NON ! Car dans ces conditions, on le remet dans une situation hautement stressante. Il est préférable d’opter pour le renforcement positif en récompensant les comportements désirés par de la nourriture. Mais on peut aussi lui apprendre qu’il a la possibilité de contrôler la situation avec un comportement différent ! Si le cheval cherche à s’éloigner, on peut toujours utiliser son besoin d’accroitre la distance avec ce qui le dérange en échange de son immobilité : « Reste où tu es, et l’inconfort s’éloignera. » Progressivement, on réduit la distance, en s’arrêtant au moindre signe d’inquiétude du cheval, et dès que celui-ci se calme et s’immobilise, on s’éloigne. Ce conditionnement est donc une succession d’approximations en se rapprochant du résultat final. « Mais ça prend du temps et je dois faire une piqûre MAINTENANT ! » Voilà la raison pour laquelle ces exercices devraient être pratiqués lorsque le cheval n’est pas malade, ne nécessite pas de soins et que tout le monde est détendu; de la même façon qu’on peut manipuler les pattes d’un chiot le soir devant la télé en lui donnant des gâteries, plutôt que d’attendre le jour où on doit absolument tailler ses griffes… Les exercices courts et répétés par différentes personnes, dans différents endroits de l’écurie ou du pré, permettent au cheval d’apprendre à réagir toujours de la même façon (de généraliser), sans anticiper l’arrivée de la douleur. • Référence : Pearsons, G. et collègues. (5-8 août 2015). More than just Horse Play – The challenges equine veterinarians face with non-compliant horses and approaches to managing these behaviours. XIe conference de la Société internationale des sciences de l’équitation. Vancouver, BC. |