PAR SERGE GAUDRY
ARTICLE PARU DANS
CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - ÉTÉ 2018 - VOL.36 NO.2 |
Un jour je déménagerai en Oklahoma...
Il l’avait dit. Il l’a répété. Cela faisait sourire… Pourtant en 2014, avec l’aide de ses parents, il obtient un visa de travail pour les États-Unis et à l’âge de 18 ans, Raphaël Bourdeau choisit de s’exiler au Texas pour vivre à fond sa passion du reining. « Je veux être le meilleur au monde et c’est la seule façon d’atteindre mes objectifs », explique-t-il tout simplement. Raphaël Bourdeau, originaire de Napierville en Montérégie, a commencé l’équitation à l’âge de neuf ans sous la tutelle de Jennifer Levie1. Il s’investit à fond et dès ses débuts en compétition sur la scène régionale, il jouit déjà d’un fan-club qui s’amuse à voir le petit garçon grimper comme dans une échelle pour réussir à se mettre en selle sur le grand Sam. Raphaël a enfin trouvé sa place dans un monde qui lui était plutôt hostile jusqu’à maintenant. « J’ai vécu une relation bien différente avec lui comparativement à mes autres élèves, relate Jennifer Levie. Il éprouvait de sérieuses difficultés à l’école et je devais d’abord travailler à construire sa confiance et son estime de soi à travers l’apprentissage de l’équitation. J’ai mis le temps et l’intensité nécessaire et en quelques années la transformation a été fulgurante. Raphaël était dans son élément et déjà au début de son adolescence, ses aspirations se dessinaient. Il fêtait ses quinze ans quand j’ai annoncé son éventuel exil à ses parents : le Québec est trop petit pour les ambitions qu’il nourrit. Toutes ces années vécues ici lui ont donné une base solide pour se bâtir une vie à son goût. D’ailleurs, il faut beaucoup de courage pour laisser sa famille et les amis derrière soi pour repartir à zéro. Il a toute mon admiration et nous le considérons comme un membre de la famille. » Je grandis avec eux Raphaël Bourdeau a passé trois mois avec son père en Oklahoma à l’aube de ses 18 ans. Ce voyage avait une double vocation soit de rassurer le père sur le genre de vie qui attendait son fils et d’autre part, de bien confronter le jeune homme à la décision qu’il prenait. On ne peut passer sous silence l’appui et le soutien parental dont il a bénéficié, tant pour le dossier exigeant beaucoup de rigueur à présenter aux instances américaines, que pour les aspects financiers et moraux. Raphaël a immédiatement su qu’il était à la bonne place pour faire ses classes et le père, Michel Bourdeau, rassuré, est revenu seul au Québec. Ainsi, en 2014, il travaille quelques mois pour le cavalier professionnel Patrice Saint-Onge. Son anglais étant élémentaire, de bons amis sur place lui ont appris les formules nécessaires pour se débrouiller. Puis, il se présente à l’écurie de Dany et Fred Tremblay qui l’embauchent comme aide-entraîneur. « Il y avait une dizaine de chevaux au début et maintenant il y en a une quarantaine, je grandis avec eux » dit-il non sans fierté. Raphaël Bourdeau ne fait pas du tourisme au Texas. Au contraire, les journées débutent à 7 h et se terminent lorsqu’il le faut, soit vers 18 h ou 19 h, parfois plus tard. L’été, pour contrer la chaleur, l’écurie se met en branle à compter de 2 h du matin et les journées se terminent au plus tard à 13 h. « Je monte huit ou neuf chevaux par jour et je leur donne tous les soins nécessaires. S’il y a une bricole à faire dans l’écurie, je m’en occupe. C’est ce que l’on attend de moi comme aide-entraîneur, explique le jeune cowboy. J’apprends tous les jours et c’est pour cela que je suis ici. Je n’ai pas l’impression de travailler, j’aime ce que je fais. » Pour l’édition 2017 des Futurités de la NRHA (National reining horse association) en décembre dernier, Raphaël a participé jusqu’à la demifinale dans la division « Ouvert ». Il a été retenu à la suite de sa première prestation regroupant plus d’une centaine de participants. Puis, il a éprouvé de petites difficultés lors de la deuxième manche mettant en scène 70 équipes cavalier-cheval. Tout cela s’est déroulé dans une atmosphère de haute tension, étant entouré de cavaliers chevronnés, les meilleurs au monde se surpassant devant cinq officiels. C’est une belle amélioration avec l’an passé, a commenté Fred Tremblay2. Le CÉGEP et l’université « Je crois qu’il s’imaginait cela un peu plus facile, déclare d’emblée le volubile Fred Tremblay. Tu ne deviens pas entraîneur en six mois. J’ai expliqué à Raphaël qu’il est actuellement au CÉGEP. Il travaille à débourrer les jeunes chevaux et d’ailleurs, il fait un excellent travail. Puis, il passera à l’université pour peaufiner son savoir-faire. Il faut mettre un bon sept à huit ans de travail intense et assidu pour prétendre être un bon entraîneur. En fait, il ne suffit pas d’entraîner les chevaux, ajoute-t-il. Il faut devenir un « homme de chevaux » (horseman). Il faut apprendre à parler cheval : a-til mal quelque part, comment va-t-il, est-il de bonne ou de mauvaise humeur, pourquoi… Heureusement, il apprend beaucoup de son mentor Dany3 et s’en inspire grandement. Raphaël est talentueux et passionné de reining. De surcroît, il a une bonne attitude envers les clients et les chevaux. S’il poursuit dans cette voie, nous verrons éclore un excellent cavalier et un compétiteur redoutable. » Texas = chevaux Son milieu porte l’empreinte équestre. « Ici, les gens connaissent bien les chevaux, raconte Raphaël. Que ce soit à la station-service, à l’épicerie ou à la pharmacie, tu peux parler cheval. Presque tout le monde en possède un. Lorsque tu te promènes dans les régions rurales au Québec, il y a une quantité impressionnante de champs cultivés de maïs et de soya. En Oklahoma, ce sont des parcs à perte de vue de chevaux et de bétail. C’est un autre monde. » Au-delà du décor, il a été témoin à plus d’une reprise de scènes qui l’ont grandement impressionné. En effet, de grands entraîneurs dont certains sont ses idoles depuis des années viennent prendre conseil auprès de Dany et de Fred Tremblay. Cette entraide entre professionnels n’est pas fréquente au Québec et cette solidarité avec une certaine humilité en toile de fond, fait également partie de cet « autre monde ». Raphaël n’a pas hésité à répondre : « Oui, je suis un homme heureux ! Je n’ai pas l’impression de travailler en faisant ce que j’aime. Mes ambitions sont toujours les mêmes, je veux remporter le titre de champion aux Futurités NRHA. Je parle avec ma famille chaque semaine, ils me rendent visite et je passe le temps des fêtes au Québec avec eux. L’an passé, ils m’ont acheté un cheval et c’est avec lui que j’ai concouru jusqu’en demi-finale. Je me sens soutenu et ils croient en moi. Je suis bien intégré ici et je suis fier de faire partie d’une superbe équipe, la meilleure ! » NOTES :
1 Jennifer Levie, entraîneuse niveau 2 certifiée par Canada équestre et Cheval Québec 3 Dans le NRHA 2017 Top 20 Professionals, Dany Tremblay est classé 4e derrière Andrea Fappani, Craig Schmersal et Shawn Flarida, de véritables légendes du reining. Il a remporté plus de 175 000 $ en gains. http://nrha1.com/media/pdf/2017/top20. pdf 2 Fred Tremblay aime aussi entraîner et présenter les chevaux en compétition, mais s’occupe en particulier des ventes et du marketing en créant les bons couples cavalier-cheval. |