PAR Me BENJAMIN POIRIER,
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE - LAVERY ARTICLE PARU DANS
CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - AUTOMNE 2017 - VOL.35 NO.3 |
Pour le meilleur et pour le pire : se débarrasser d’un cheval abandonné
Devenir propriétaire d’un cheval est une expérience qui se veut des plus exaltantes. Cependant, les coûts liés à l’entretien et aux soins d’un cheval sont très importants. De ce fait, l’abandon des chevaux par leur propriétaire dans les centres équestres est une problématique bien réelle. Les centres équestres se retrouvent alors avec la charge financière et morale de veiller aux soins d’un cheval pendant des semaines, voire des mois. Les lois et les règlements en vigueur n’apportent que très peu de réponses aux centres équestres qui doivent s’occuper d’un cheval qui a été abandonné et dont le propriétaire est souvent introuvable. La présente chronique vise à donner des points de repère pour prévenir cette situation et donner des pistes de solution pour une gestion efficace des chevaux abandonnés. Une récente modification apportée au droit québécois reconnaît à l’animal la qualification d’un être doué de sensibilité ayant des impératifs biologiques. À cet effet, un ensemble de règles a été établi pour assurer la protection de l’animal, lui garantir bien-être et sécurité. L’animal a le droit d’avoir accès à de l’eau et à de la nourriture en quantité et en qualité suffisantes, d’être gardé dans un lieu salubre, propre, convenable, espacé, éclairé et sécuritaire, de se mouvoir, d’obtenir la protection nécessaire contre les intempéries de toutes sortes, de recevoir les soins requis en cas de blessures, de maladies ou de souffrances et de ne pas être soumis à des abus ou à des traitements nocifs. De plus, on reconnaît à l’animal le droit aux bienfaits d’une stimulation, d’une socialisation ou d’un enrichissement environnemental convenable. Ces droits sont autant d’obligations imposées au propriétaire d’un cheval, mais également à toute personne qui en a la garde, y compris un centre équestre. Dans ce contexte légal, les dépenses liées aux soins d’un cheval constituent un fardeau important. Le statut du cheval abandonné n’est pas toujours clair. Le cas du pensionnaire qui ne donne plus de nouvelles, ne paie plus sa pension et a changé d’adresse est typique du problème vécu par les centres équestres. Le cas d’abandon d’un cheval est plus nébuleux en présence d’un pensionnaire qui paie sa pension de manière irrégulière et refait surface au centre équestre après des semaines d’absence et de silence. Le droit québécois est mal adapté pour répondre efficacement et rapidement à la réalité d’un animal vivant qui est abandonné, par opposition à un bien meuble inanimé. Le Code civil du Québec prévoit des règles qui permettraient à un centre équestre de disposer du cheval par vente ou donation. Dans ce cas, des délais de six mois sont à prévoir. La lecture des débats tenus à l’Assemblée nationale au moment de l’adoption de ces règles nous donne à penser qu’elles ont été édictées en ayant à l’esprit le cas de vêtements laissés chez le nettoyeur ou la couturière, plutôt que celui d’un animal délaissé par son propriétaire. Par ailleurs, la nouvelle Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal apporte certaines pistes de solution pour les centres équestres, sans pour autant couvrir tous les cas de figure. Cette loi prévoit qu’un cheval confié à un centre équestre, qui n’est pas récupéré quatre jours après la date prévue de son départ, est réputé abandonné. En revanche, le cheval abandonné dans un centre équestre continue d’être la propriété de son propriétaire, même si celui-ci est introuvable. C’est là que réside tout le problème dû à l’ambiguïté de la loi qui ne permet pas, selon nous, le placement rapide du cheval abandonné dans une nouvelle famille. Nous recommandons aux centres équestres qui se retrouvent avec un cheval abandonné de consulter un organisme pour chevaux, par exemple le Refuge Galahad ou le MAPAQ (ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec), avant de se débarrasser du cheval par vente ou donation. Ces organismes pourront peut-être plus facilement jouer le rôle d’interlocuteur auprès du propriétaire du cheval, s’il est joignable, ou en possession du cheval. Nous nous empressons d’ajouter que, dans l’intervalle, le centre équestre a la pleine responsabilité de subvenir financièrement à tous les besoins du cheval de manière raisonnable. Le problème de l’abandon des chevaux est dû en grande partie, selon nous, au fait que l’industrie du cheval fonctionne encore beaucoup par entente verbale. Il nous revient en mémoire le cas d’une ponette qui avait été mise en pension extérieure dans un centre équestre sans que les coordonnées des propriétaires ne soient notées. Au début, les visites régulières des propriétaires au centre équestre avaient de quoi rassurer. Pourtant, plusieurs mois se sont écoulés avant que l’absence des propriétaires et les retards de paiement de pension ne soient remarqués. De plus, la ponette était gestante, ce qui n’avait jamais été déclaré par les propriétaires, et souffrait maintenant de carences alimentaires et vitaminiques importantes dues à la grossesse. Des lettres de mise en demeure et de nombreuses démarches auprès des propriétaires ont été nécessaires pour rediriger la ponette dans un centre équestre capable de subvenir à ses besoins médicaux et alimentaires particuliers. Cet épisode a été désastreux pour la ponette qui a mis bas quelques semaines plus tard. Son poulain n’a pas survécu. Nous recommandons aux centres équestres de signer des contrats écrits avec leurs pensionnaires et leurs demi-pensionnaires en se servant ou en s’inspirant de ce qui est disponible en ligne sur le site Internet de Cheval Québec. Il est essentiel d’avoir des coordonnées complètes et de prendre en note une référence gouvernementale alphanumérique comme une copie de permis de conduire ou de carte d’assurance maladie. Si malgré tout un abandon de cheval devait survenir, il est préférable de faire une déclaration à un agent de la paix comme un gage de la bonne foi du centre équestre. L’agent de la paix peut surtout diriger le centre équestre vers les ressources existantes en matière de protection des animaux abandonnés. Par ailleurs, les dépenses engagées pour subvenir aux besoins du cheval devraient être soigneusement comptabilisées, car le propriétaire, s’il venait à être retrouvé, pourrait devoir les rembourser. Dans ce cas, le Code civil du Québec accorde au centre équestre le droit de retenir le cheval jusqu’au remboursement complet des dépenses engagées. Répétons que le centre équestre doit continuer de subvenir aux besoins fondamentaux du cheval, y compris les vaccins et le traitement des sabots. Il serait utile d’ajouter dans un contrat de pension ce « droit de rétention » légal pour l’officialiser encore davantage. En somme, le droit québécois a fait des foulées dans la bonne direction pour protéger les animaux, en particulier pour s’assurer que le propriétaire d’un cheval et celui qui en a la garde soient responsables de son bien-être. Pourtant, il y a encore des progrès à faire, tant au niveau légal qu’au niveau de la mentalité dans l’industrie. Un contrat de pension clair et complet constitue un outil des plus utiles, même si le principal intéressé, le cheval, n’en est pas signataire. |