Un accident est si vite arrivé !
PAR ME BENJAMIN POIRIER, DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE LAVERY AVOCATS
L’équitation est une activité dangereuse, c’est un fait. La manipulation des chevaux aussi. Personne n’est à l’abri d’une blessure et un accident est si vite arrivé. C’est ce qu’a vécu le demandeur1 de la cause présentée dans cette chronique, en décembre 2016, lorsqu’il s’est retrouvé coincé entre trois chevaux. Conséquence : il a souffert d’une torsion intestinale qui lui a causé des douleurs et qui a nécessité une intervention chirurgicale. Malgré cette opération et un suivi régulier en physiothérapie, les douleurs ont persisté plusieurs mois après l’incident, s’accompagnant d’étourdissements, de pertes d’équilibre et de crises d’anémie. En raison de son état de santé, le demandeur s’est vu dans l’obligation de cesser ses activités et n’a pu reprendre le travail de manière progressive qu’à l’automne 2017. Il avait une assurance invalidité sur laquelle il croyait pouvoir compter. C’était avant qu’il apprenne que l’assureur refusait de payer des prestations d’invalidité au-delà des soixante premiers jours.
Un contrat d’assurance n’est pas toujours une chose facile à comprendre. Le langage utilisé peut être ardu en raison de la mécanique entre les situations qui sont couvertes par le contrat et les nombreuses clauses de limitation ou d’exclusion. Ces difficultés ne sont pas étrangères aux tribunaux qui sont régulièrement appelés à se prononcer sur la portée d’un contrat d’assurance.
Le jugement étudié dans cette chronique illustre exactement cette réalité, en plus de rappeler l’importance, dans le milieu équestre, de souscrire à une couverture d’assurance appropriée, puisque l’équitation est un sport qui comporte sa part de risques.
Lorsque surviennent les événements ci-haut décrits, le demandeur détient une police d’assurance invalidité. Suite aux événements, le demandeur présente donc une réclamation à l’assureur afin d’obtenir des prestations d’invalidité pour la durée totale de sa convalescence. Toutefois, en réponse à sa réclamation, l’assureur accorde une indemnité pour une période se limitant à soixante jours. Pour appuyer sa décision, l’assureur invoque une clause de limitation qui, selon lui, trouve application et fait en sorte que l’assuré n’est pas en droit d’obtenir des prestations couvrant l’entièreté de sa période d’invalidité. C’est dans ce contexte que prend naissance le litige, le demandeur étant en désaccord avec l’interprétation du contrat d’assurance.
L’analyse de la Cour
Amenée à se prononcer sur l’application de la clause de limitation de couverture invoquée par l’assureur, la Cour rappelle la démarche analytique à laquelle elle doit se prêter. D’abord, elle doit déterminer l’objet de la protection offerte par le contrat d’assurance, c’est-à-dire la nature de la couverture et les situations qu’elle vise. Ensuite, elle doit se demander si la situation précise du demandeur est couverte par le contrat d’assurance. Il incombe à l’assuré de démontrer qu’il se trouve dans une situation donnant droit à des prestations d’assurance.
Finalement, la Cour doit étudier les exclusions et limitations prévues au contrat pour déterminer si elles trouvent application dans les faits. Il revient alors à l’assureur de démontrer que la situation du demandeur est exclue des cas d’application de la police d’assurance ou fait l’objet d’une indemnisation limitée.
Au stade de la première étape de son analyse, la Cour conclut que la police d’assurance, sujette à certaines limitations et exclusions, permet à l’assuré d’obtenir des prestations couvrant ses pertes de revenus puisque l’accident avec les chevaux a causé son invalidité, ce qui est un cas visé par la couverture d’assurance. Par contre, l’obligation d’indemniser cesse avec la fin du terme du contrat d’assurance, même si le demandeur est toujours invalide.
Se fondant sur le vocabulaire, les définitions, l’objet et les clauses de limitation pertinentes du contrat d’assurance, la Cour en vient à la conclusion que deux situations d’invalidité sont couvertes :
La Cour précise que la notion d’accident, telle que définie dans le contrat, fait référence à un événement soudain, violent, imprévisible, imprévu et non intentionnel de la part de l’assuré.
La Cour rejette les arguments soulevés par l’assureur voulant que :
– le fait de remonter à cheval à deux reprises après l’accident pour une période de deux heures à chaque fois constitue une preuve de la fin de l’invalidité du demandeur ;
– les blessures du demandeur ne résultent pas toutes de son accident ;
– les symptômes du demandeur, après une période de soixante jours suivant l’accident, ne sont pas une conséquence des événements, mais bien une symptomatologie résiduelle qui n’est pas couverte par la police d’assurance.
La Cour arrive à la conclusion que les blessures du demandeur sont de nature accidentelle et ce dernier est couvert par le premier cas de figure du contrat d’assurance. Il a donc droit d’être indemnisé jusqu’à la fin de son invalidité, en octobre 2017. Par contre, son contrat d’assurance prenant fin en septembre 2017, la Cour accorde au demandeur une indemnisation jusqu’au terme du contrat seulement, pour une somme de 7 434 $.
Ce qu’il faut retenir
En présence de chevaux, quelques secondes d’inattention peuvent causer une invalidité de plusieurs mois. Si l’invalidité empêche de travailler, c’est encore plus dramatique, d’où l’utilité d’une assurance. Le cas présenté ici et le jugement du tribunal offrent un éclairage sur les règles d’interprétation des contrats d’assurance. Ces règles sont utiles pour mieux comprendre la protection qu’offre une couverture d’assurance et ses limites ou ses exclusions. En voici les grandes lignes :
– l’assuré a le fardeau de prouver que son cas est couvert par le contrat d’assurance et qu’il a droit à des prestations d’invalidité ;
– l’assureur a le fardeau de prouver que le cas n’est pas couvert par le contrat ou que des limitations/exclusions s’appliquent ;
– les clauses de limitation et d’exclusion de couverture sont interprétées restrictivement. Cela signifie qu’à moins qu’il ne soit très clair qu’il s’agit d’un cas de limitation ou d’exclusion, il faut éviter d’exclure la couverture d’assurance ;
– il faut interpréter les mots employés dans le contrat avec leur sens usuel en considérant la perception ou la compréhension d’un consommateur raisonnable, mais « ordinaire », sans connaissance particulière du droit des assurances.
L’ensemble des règles énoncées ci-haut s’inscrivent dans la lignée d’un grand principe, celui de l’interprétation de la police d’assurance en faveur de l’assuré. En effet, considérant l’assuré en position de vulnérabilité vis-à-vis de l’assureur, notamment du point de vue des connaissances juridiques, en cas de doute sur l’interprétation d’une clause, il faut accorder à celle-ci l’interprétation qui est la plus favorable à l’assuré. Les chevaux sont imprévisibles par nature, mais il est toujours prévisible qu’un accident arrivera, un jour ou l’autre. l
Remerciements à ME Constance Baccanale pour sa précieuse collaboration.
1 (Robidas c. L’Excellence, compagnie d’assurance-vie, 2019 QCCQ 175)
Un contrat d’assurance n’est pas toujours une chose facile à comprendre. Le langage utilisé peut être ardu en raison de la mécanique entre les situations qui sont couvertes par le contrat et les nombreuses clauses de limitation ou d’exclusion. Ces difficultés ne sont pas étrangères aux tribunaux qui sont régulièrement appelés à se prononcer sur la portée d’un contrat d’assurance.
Le jugement étudié dans cette chronique illustre exactement cette réalité, en plus de rappeler l’importance, dans le milieu équestre, de souscrire à une couverture d’assurance appropriée, puisque l’équitation est un sport qui comporte sa part de risques.
Lorsque surviennent les événements ci-haut décrits, le demandeur détient une police d’assurance invalidité. Suite aux événements, le demandeur présente donc une réclamation à l’assureur afin d’obtenir des prestations d’invalidité pour la durée totale de sa convalescence. Toutefois, en réponse à sa réclamation, l’assureur accorde une indemnité pour une période se limitant à soixante jours. Pour appuyer sa décision, l’assureur invoque une clause de limitation qui, selon lui, trouve application et fait en sorte que l’assuré n’est pas en droit d’obtenir des prestations couvrant l’entièreté de sa période d’invalidité. C’est dans ce contexte que prend naissance le litige, le demandeur étant en désaccord avec l’interprétation du contrat d’assurance.
L’analyse de la Cour
Amenée à se prononcer sur l’application de la clause de limitation de couverture invoquée par l’assureur, la Cour rappelle la démarche analytique à laquelle elle doit se prêter. D’abord, elle doit déterminer l’objet de la protection offerte par le contrat d’assurance, c’est-à-dire la nature de la couverture et les situations qu’elle vise. Ensuite, elle doit se demander si la situation précise du demandeur est couverte par le contrat d’assurance. Il incombe à l’assuré de démontrer qu’il se trouve dans une situation donnant droit à des prestations d’assurance.
Finalement, la Cour doit étudier les exclusions et limitations prévues au contrat pour déterminer si elles trouvent application dans les faits. Il revient alors à l’assureur de démontrer que la situation du demandeur est exclue des cas d’application de la police d’assurance ou fait l’objet d’une indemnisation limitée.
Au stade de la première étape de son analyse, la Cour conclut que la police d’assurance, sujette à certaines limitations et exclusions, permet à l’assuré d’obtenir des prestations couvrant ses pertes de revenus puisque l’accident avec les chevaux a causé son invalidité, ce qui est un cas visé par la couverture d’assurance. Par contre, l’obligation d’indemniser cesse avec la fin du terme du contrat d’assurance, même si le demandeur est toujours invalide.
Se fondant sur le vocabulaire, les définitions, l’objet et les clauses de limitation pertinentes du contrat d’assurance, la Cour en vient à la conclusion que deux situations d’invalidité sont couvertes :
- lorsque l’invalidité est causée par une blessure (qui inclut des blessures de nature musculaire ou ligamentaire) de manière accidentelle, une indemnité est due tant que l’invalidité persiste ;
- lorsque l’invalidité ne survient pas de manière accidentelle et que la blessure est de nature strictement musculaire ou ligamentaire, l’indemnisation est offerte pour une période maximale de soixante jours.
La Cour précise que la notion d’accident, telle que définie dans le contrat, fait référence à un événement soudain, violent, imprévisible, imprévu et non intentionnel de la part de l’assuré.
La Cour rejette les arguments soulevés par l’assureur voulant que :
– le fait de remonter à cheval à deux reprises après l’accident pour une période de deux heures à chaque fois constitue une preuve de la fin de l’invalidité du demandeur ;
– les blessures du demandeur ne résultent pas toutes de son accident ;
– les symptômes du demandeur, après une période de soixante jours suivant l’accident, ne sont pas une conséquence des événements, mais bien une symptomatologie résiduelle qui n’est pas couverte par la police d’assurance.
La Cour arrive à la conclusion que les blessures du demandeur sont de nature accidentelle et ce dernier est couvert par le premier cas de figure du contrat d’assurance. Il a donc droit d’être indemnisé jusqu’à la fin de son invalidité, en octobre 2017. Par contre, son contrat d’assurance prenant fin en septembre 2017, la Cour accorde au demandeur une indemnisation jusqu’au terme du contrat seulement, pour une somme de 7 434 $.
Ce qu’il faut retenir
En présence de chevaux, quelques secondes d’inattention peuvent causer une invalidité de plusieurs mois. Si l’invalidité empêche de travailler, c’est encore plus dramatique, d’où l’utilité d’une assurance. Le cas présenté ici et le jugement du tribunal offrent un éclairage sur les règles d’interprétation des contrats d’assurance. Ces règles sont utiles pour mieux comprendre la protection qu’offre une couverture d’assurance et ses limites ou ses exclusions. En voici les grandes lignes :
– l’assuré a le fardeau de prouver que son cas est couvert par le contrat d’assurance et qu’il a droit à des prestations d’invalidité ;
– l’assureur a le fardeau de prouver que le cas n’est pas couvert par le contrat ou que des limitations/exclusions s’appliquent ;
– les clauses de limitation et d’exclusion de couverture sont interprétées restrictivement. Cela signifie qu’à moins qu’il ne soit très clair qu’il s’agit d’un cas de limitation ou d’exclusion, il faut éviter d’exclure la couverture d’assurance ;
– il faut interpréter les mots employés dans le contrat avec leur sens usuel en considérant la perception ou la compréhension d’un consommateur raisonnable, mais « ordinaire », sans connaissance particulière du droit des assurances.
L’ensemble des règles énoncées ci-haut s’inscrivent dans la lignée d’un grand principe, celui de l’interprétation de la police d’assurance en faveur de l’assuré. En effet, considérant l’assuré en position de vulnérabilité vis-à-vis de l’assureur, notamment du point de vue des connaissances juridiques, en cas de doute sur l’interprétation d’une clause, il faut accorder à celle-ci l’interprétation qui est la plus favorable à l’assuré. Les chevaux sont imprévisibles par nature, mais il est toujours prévisible qu’un accident arrivera, un jour ou l’autre. l
Remerciements à ME Constance Baccanale pour sa précieuse collaboration.
1 (Robidas c. L’Excellence, compagnie d’assurance-vie, 2019 QCCQ 175)