La vente d'un poulain in utero :
La notion de « vivant et viable »
PAR ME BENJAMIN POIRIER
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE LAVERY AVOCATS
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE LAVERY AVOCATS
Un poulain né avec de l’arthrite septique peut survivre avec des soins appropriés, c’est du moins ce que la Cour en dit. La décision de la propriétaire du poulain, Mme [X], de l’euthanasier ne lui permettait pas de réclamer des dommages contre la propriétaire de la jument gestante, Mme [Y]. La présente affaire soulève des questions morales délicates, mais aussi des considérations de bonnes pratiques contractuelles.
La Cour du Québec s’est penchée sur la question de la viabilité d’un poulain dans une affaire aux arrangements complexes impliquant la donation d’une jument gestante1. Les parties avaient signé un contrat plutôt unique en son genre par lequel une jument gestante de race Oldenburg était donnée contre bons soins. Le contrat stipulait que la jument était adoptée, mais le poulain à naître demeurait exclu du contrat. Ce dernier était la propriété de l’ancienne propriétaire de la jument. Le contrat stipulait qu’il devait naître vivant et viable. L’entretien du poulain jusqu’au sevrage relevait de l’adoptante de la jument. Il était convenu que le poulain et la jument seraient éventuellement présentés à l’inspection Oldenburg NA. Le contrat stipulait aussi que si le poulain ne naissait pas vivant et viable, la jument serait saillie à nouveau avec un étalon au choix de l’ancienne propriétaire de la jument.
Dès sa naissance, le poulain avait les jarrets enflés et présentait des signes d’arthrite septique ou d’ictère hémolytique. Son état nécessitait des antibiotiques, qui ont été prescrits par la vétérinaire. Toutefois, l’administration des antibiotiques n’a pas eu l’effet escompté. Lorsque mise au courant, la propriétaire a décidé que le poulain serait euthanasié puisqu’elle considérait qu’il ne pouvait servir à l’usage projeté.
La propriétaire du poulain réclamait 12 000 $ pour la valeur du poulain perdu, 2 000 $ en dommages pour stress et inconvénients et 850 $ pour le contrat de saillie inutilisable. De son côté, la propriétaire de la jument réclamait 1 000 $ pour divers coûts vétérinaires pour la mise bas.
Cette cause met en jeu plusieurs notions de droit qui se superposent et s’entrecroisent. Pour rendre sa décision, la Cour a scruté à la loupe le langage utilisé dans le contrat et le contexte de sa signature quant à l’intention des parties que les clauses ne traduisent pas toujours fidèlement.
La Cour a retenu que la jument, une fois donnée ou adoptée, devenait la propriété de l’adoptante. En revanche, il apparaissait clairement du contrat que le poulain, alors in utero, demeurait la propriété de l’ancienne propriétaire de la jument. Les parties admettaient que la jument avait reçu tous les soins appropriés durant la gestation et jusqu’à la mise bas. Il n’était également pas contesté que le poulain était né avec un problème de santé nécessitant des soins immédiats et à long terme.
Selon la preuve, la propriétaire du poulain n’aurait pas été informée en temps utile de la naissance du poulain et de son état de santé précaire. Pourtant, la Cour n’a pas retenu ces éléments comme déterminants, puisqu’une fois mise au courant de la naissance du poulain, des soins vétérinaires qui lui avaient été administrés et de ses perspectives d’avenir assombries, sa propriétaire a pris la déchirante décision de le faire euthanasier.
La Cour considérait que le contrat intervenu entre les parties avait été rempli, puisque le poulain était effectivement né vivant et viable. Après analyse des mots utilisés dans le contrat, la Cour concluait qu’il n’avait jamais été entendu que le poulain devait être en parfaite santé ou exempt de problèmes. Pour avoir retenu le témoignage du vétérinaire à ce sujet, la Cour a été convaincue que le poulain aurait pu survivre :
[21] Le vétérinaire témoigne. Il indique qu’un poulain ayant de l’arthrite septique peut survivre, mais nécessite des soins appropriés. Il a lui-même eu un poulain atteint de cette maladie qui vit encore aujourd’hui.
Face à ce constat médical, la Cour a décidé que la nouvelle propriétaire de la jument n’avait commis aucune faute ni violé les obligations du contrat. La demande de Mme [X] a été rejetée. Mme [Y] avait renoncé à sa réclamation pour recouvrer des frais vétérinaires. Dans les mots de la Cour :
[22] Selon le Tribunal, le contrat conclu entre les parties ne permet pas de soutenir que Mme [X] se serait engagée à ce que le poulain à naître ne soit atteint d’aucune maladie. Mme [Y] a consenti à faire euthanasier le poulain après 36 heures de vie et de soins.
[23] Dans ces circonstances, le Tribunal conclut que le poulain est né vivant et viable. Ce n’est pas parce qu’il est atteint d’une maladie qui engendre des coûts pour des soins de santé que le poulain n’est pas né vivant et viable.
Bien que la jurisprudence traite peu des transactions intervenues alors que le poulain est in utero, cette décision permet de clarifier la notion de « vivant et viable » dans le domaine équin. Nous retenons que dans la mesure où un poulain pouvait survivre avec des soins, sans égard à l’utilisation pour laquelle il était destiné, une Cour de justice considérera l’obligation contractuelle de fournir un poulain « vivant et viable » remplie.
La décision précitée offre une lueur d’espoir aux éleveurs qui font ce genre de transaction, parce qu’il apparaît en effet impossible de garantir la santé d’un poulain avant sa naissance, du moins avec l’état actuel d’avancement des connaissances médicales. Le critère applicable n’est donc pas que le poulain naisse en parfaite santé ou qu’il puisse servir pour l’usage projeté, mais qu’il puisse survivre, même dans les cas où il est atteint d’une maladie.
En revanche, il est toujours loisible aux parties à un contrat de gestation de stipuler que le poulain à naître devra être exempt de certaines maladies identifiées au contrat. Nous croyons que cette pratique est souhaitable dans le cas précis des vendeurs professionnels de poulains in utero qui doivent, selon nous, supporter une partie des risques, car ils sont les mieux placés pour connaître l’état de santé de leur étalon ou jument gestante, selon le cas.
La présente décision s’applique aux cas particuliers des transactions in utero. Elle diffère de celles où l’on découvre un problème de santé par la suite, par exemple lors de la période de sevrage, du débourrage ou des premières années d’entraînement. Dans ces cas, la notion de poulain né « vivant et viable » ne s’appliquera plus, mais sera plutôt remplacée par celle de la garantie légale de qualité que nous avons déjà abondamment traitée dans des chroniques précédentes.2
Notes :
1 Labrecque c. Motta, 2016 QCCQ 2616
2 Remerciements pour la précieuse collaboration de Me Florence Forest
La Cour du Québec s’est penchée sur la question de la viabilité d’un poulain dans une affaire aux arrangements complexes impliquant la donation d’une jument gestante1. Les parties avaient signé un contrat plutôt unique en son genre par lequel une jument gestante de race Oldenburg était donnée contre bons soins. Le contrat stipulait que la jument était adoptée, mais le poulain à naître demeurait exclu du contrat. Ce dernier était la propriété de l’ancienne propriétaire de la jument. Le contrat stipulait qu’il devait naître vivant et viable. L’entretien du poulain jusqu’au sevrage relevait de l’adoptante de la jument. Il était convenu que le poulain et la jument seraient éventuellement présentés à l’inspection Oldenburg NA. Le contrat stipulait aussi que si le poulain ne naissait pas vivant et viable, la jument serait saillie à nouveau avec un étalon au choix de l’ancienne propriétaire de la jument.
Dès sa naissance, le poulain avait les jarrets enflés et présentait des signes d’arthrite septique ou d’ictère hémolytique. Son état nécessitait des antibiotiques, qui ont été prescrits par la vétérinaire. Toutefois, l’administration des antibiotiques n’a pas eu l’effet escompté. Lorsque mise au courant, la propriétaire a décidé que le poulain serait euthanasié puisqu’elle considérait qu’il ne pouvait servir à l’usage projeté.
La propriétaire du poulain réclamait 12 000 $ pour la valeur du poulain perdu, 2 000 $ en dommages pour stress et inconvénients et 850 $ pour le contrat de saillie inutilisable. De son côté, la propriétaire de la jument réclamait 1 000 $ pour divers coûts vétérinaires pour la mise bas.
Cette cause met en jeu plusieurs notions de droit qui se superposent et s’entrecroisent. Pour rendre sa décision, la Cour a scruté à la loupe le langage utilisé dans le contrat et le contexte de sa signature quant à l’intention des parties que les clauses ne traduisent pas toujours fidèlement.
La Cour a retenu que la jument, une fois donnée ou adoptée, devenait la propriété de l’adoptante. En revanche, il apparaissait clairement du contrat que le poulain, alors in utero, demeurait la propriété de l’ancienne propriétaire de la jument. Les parties admettaient que la jument avait reçu tous les soins appropriés durant la gestation et jusqu’à la mise bas. Il n’était également pas contesté que le poulain était né avec un problème de santé nécessitant des soins immédiats et à long terme.
Selon la preuve, la propriétaire du poulain n’aurait pas été informée en temps utile de la naissance du poulain et de son état de santé précaire. Pourtant, la Cour n’a pas retenu ces éléments comme déterminants, puisqu’une fois mise au courant de la naissance du poulain, des soins vétérinaires qui lui avaient été administrés et de ses perspectives d’avenir assombries, sa propriétaire a pris la déchirante décision de le faire euthanasier.
La Cour considérait que le contrat intervenu entre les parties avait été rempli, puisque le poulain était effectivement né vivant et viable. Après analyse des mots utilisés dans le contrat, la Cour concluait qu’il n’avait jamais été entendu que le poulain devait être en parfaite santé ou exempt de problèmes. Pour avoir retenu le témoignage du vétérinaire à ce sujet, la Cour a été convaincue que le poulain aurait pu survivre :
[21] Le vétérinaire témoigne. Il indique qu’un poulain ayant de l’arthrite septique peut survivre, mais nécessite des soins appropriés. Il a lui-même eu un poulain atteint de cette maladie qui vit encore aujourd’hui.
Face à ce constat médical, la Cour a décidé que la nouvelle propriétaire de la jument n’avait commis aucune faute ni violé les obligations du contrat. La demande de Mme [X] a été rejetée. Mme [Y] avait renoncé à sa réclamation pour recouvrer des frais vétérinaires. Dans les mots de la Cour :
[22] Selon le Tribunal, le contrat conclu entre les parties ne permet pas de soutenir que Mme [X] se serait engagée à ce que le poulain à naître ne soit atteint d’aucune maladie. Mme [Y] a consenti à faire euthanasier le poulain après 36 heures de vie et de soins.
[23] Dans ces circonstances, le Tribunal conclut que le poulain est né vivant et viable. Ce n’est pas parce qu’il est atteint d’une maladie qui engendre des coûts pour des soins de santé que le poulain n’est pas né vivant et viable.
Bien que la jurisprudence traite peu des transactions intervenues alors que le poulain est in utero, cette décision permet de clarifier la notion de « vivant et viable » dans le domaine équin. Nous retenons que dans la mesure où un poulain pouvait survivre avec des soins, sans égard à l’utilisation pour laquelle il était destiné, une Cour de justice considérera l’obligation contractuelle de fournir un poulain « vivant et viable » remplie.
La décision précitée offre une lueur d’espoir aux éleveurs qui font ce genre de transaction, parce qu’il apparaît en effet impossible de garantir la santé d’un poulain avant sa naissance, du moins avec l’état actuel d’avancement des connaissances médicales. Le critère applicable n’est donc pas que le poulain naisse en parfaite santé ou qu’il puisse servir pour l’usage projeté, mais qu’il puisse survivre, même dans les cas où il est atteint d’une maladie.
En revanche, il est toujours loisible aux parties à un contrat de gestation de stipuler que le poulain à naître devra être exempt de certaines maladies identifiées au contrat. Nous croyons que cette pratique est souhaitable dans le cas précis des vendeurs professionnels de poulains in utero qui doivent, selon nous, supporter une partie des risques, car ils sont les mieux placés pour connaître l’état de santé de leur étalon ou jument gestante, selon le cas.
La présente décision s’applique aux cas particuliers des transactions in utero. Elle diffère de celles où l’on découvre un problème de santé par la suite, par exemple lors de la période de sevrage, du débourrage ou des premières années d’entraînement. Dans ces cas, la notion de poulain né « vivant et viable » ne s’appliquera plus, mais sera plutôt remplacée par celle de la garantie légale de qualité que nous avons déjà abondamment traitée dans des chroniques précédentes.2
Notes :
1 Labrecque c. Motta, 2016 QCCQ 2616
2 Remerciements pour la précieuse collaboration de Me Florence Forest