PAR Me BENJAMIN POIRIER,
DROIT DES ASSURANCES ET RESPONSABILITÉ CIVILE - LAVERY ARTICLE PARU DANS
CHEVAL QUÉBEC MAGAZINE - HIVER 2018-19 - VOL.36 NO.4 |
Zonage et bien-être animal
Cette chronique présente deux décisions judiciaires d’intérêt pour la communauté équestre. L’une traite de la relation parfois difficile entre les propriétaires d’écurie et les villes quant à la réglementation municipale de zonage permettant d’avoir des chevaux. L’autre décision esquisse des lignes directrices pour les soins minimaux nécessaires au bien-être des chevaux en pension gratuite.
Forcés de démolir leur écurie par la faute de la ville Jenny Garguilo et Stéphane Rainville étaient propriétaires de chevaux et d’une écurie sur leur terrain dans la municipalité de Notre-Dame-de-Lourdes. Quelques mois après la construction de l’écurie, ils reçoivent de la ville un avis les informant que le permis de construction de l’écurie a été délivré par erreur en contravention du règlement de zonage. Encore quelques mois plus tard, la ville modifie son règlement de zonage afin de permettre des écuries privées, notamment dans la zone où habitent Mme Garguilo et M. Rainville. La ville envoie une lettre les informant que la superficie minimale d’un terrain pouvant recevoir une écurie privée doit être de 6 500 mètres carrés. Mme Garguilo et M. Rainville entreprennent des démarches pour acheter d’un voisin la superficie de terrain manquante. Ces démarches n’aboutissent pas. Ils sont alors informés par une lettre de la ville qu’elle a adopté une résolution ordonnant qu’ils se départissent de leurs chevaux et démolissent l’écurie ou la convertissent pour un usage autorisé. Mme Garguilo et M. Rainville ont poursuivi la municipalité de Notre-Dame-de-Lourdes pour obtenir un dédommagement monétaire de 25 355 $, notamment pour les frais de démolition ou de conversion de l’écurie, puisque le permis de construction avait été délivré par erreur à la base. La Cour a rejeté immédiatement et sans procès le recours de Mme Garguilo et M. Rainville. En effet, ils n’ont pas envoyé un avis de contestation à la ville dans les 60 jours de la connaissance du problème et institué leur recours judiciaire dans les 6 mois. Ces délais proviennent du Code municipal du Québec1 et doivent être scrupuleusement respectés. Le litige portait précisément sur la date à laquelle ils ont acquis la connaissance de l’infraction en règlement de zonage quant à la superficie minimale requise pour avoir des chevaux et une écurie. La ville considérait que la connaissance complète a été acquise lorsqu’ils ont reçu une lettre les informant qu’ils devraient acquérir une portion de terrain pour se conformer à la réglementation municipale. En revanche, Mme Garguilo et M. Rainville argumentaient que la connaissance complète était survenue lorsque la ville a exigé qu’ils se départissent de leurs chevaux et démolissent l’écurie. La Cour a donné raison à la ville, puisqu’elle considérait que Mme Garguilo et M. Rainville ont eu connaissance de l’erreur de la ville, des dépenses à encourir et du lien entre les deux au moment où ils ont reçu la lettre les informant de la superficie minimale requise2. Les chevaux en pension gratuite sont-ils moins bien traités ? En décembre 2015, le gouvernement du Québec adopte la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal3. Celle-ci est mise en place afin de répondre aux problèmes soulevés par différents groupes d’intervenants, au sujet de la cruauté envers les animaux, et impose des obligations accrues à leurs propriétaires et gardiens. La décision4 dont il est question dans cette chronique fait justement référence à ces nouvelles obligations et en illustre bien l’application pratique. Les faits En mai 2016, souffrant de graves problèmes de santé, Mme Lafrenière confie son cheval Tonnerre à M. Maheux. Ce collègue de travail est propriétaire d’une fermette et s’occupe, avec sa famille, d’animaux réfugiés. Un contrat verbal intervient entre les parties pour que M. Maheux offre les soins de base à Tonnerre. Il est par ailleurs convenu que Mme Lafrenière ne sera pas requise de payer une pension pour le séjour de son cheval. Cependant, elle s’engage à couvrir les frais de maréchal-ferrant et de vétérinaire. L’entente semble claire et complète. Se trouvant à une distance éloignée de la fermette de M. Maheux et ses problèmes de santé n’étant pas résolus, Mme Lafrenière ne peut pas visiter son cheval durant des mois. Cependant, en juillet, elle est rassurée par son maréchal-ferrant que Tonnerre se porte bien. Une correspondance avec la jeune fille de M. Maheux, au mois d’août, est également à cet effet. Toutefois, en novembre, elle apprend que son cheval serait dans un piètre état. Elle se précipite alors à la fermette et retrouve Tonnerre dans d’inquiétantes conditions. En effet, Tonnerre est amaigri et abattu, certains os sont protubérants et des analyses sanguines révèlent un apport calorique insuffisant et une infection bactérienne cutanée, finalement une palpation de l’abdomen suggère l’existence d’ulcères gastriques. Tonnerre est mis en pension dans une écurie offrant un programme de suppléments nutritifs. Le recours judiciaire Mme Lafrenière intente une action en justice contre M. Maheux. Son recours trouve deux fondements en droit : D’abord, Mme Lafrenière reproche le non-respect de leur entente verbale. Ainsi, M. Maheux a négligé ses responsabilités quant aux soins devant être offerts (brossage adéquat, traitement des infections bactériennes, nourriture suffisante, pour n’en nommer que quelques-uns). De plus, le fait de ne pas avoir avisé Mme Lafrenière de la détérioration de l’état de santé de Tonnerre constitue une négligence fautive. Au titre des dommages monétaires, Mme Lafrenière invoque la détérioration de la santé de son cheval et toutes les dépenses engagées afin de permettre à ce dernier de retrouver la santé. Renforçant la solidité de son argumentaire, Mme Lafrenière invoque également la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal. Or, Mme Lafrenière invoque qu’il ressort clairement des faits que M. Maheux n’offre pas les soins essentiels au bien-être de Tonnerre. En réponse à la poursuite intentée contre lui, M. Maheux demande une somme de 15 000 $ de la part de Mme Lafrenière pour la pension de Tonnerre, malgré l’entente de gratuité. Par ailleurs, il invoque que Mme Lafrenière a entaché sa réputation, en propageant des commentaires négatifs. La décision de la Cour La Cour n’a pas de difficulté à admettre que M. Maheux a été négligent dans sa garde du cheval, d’autant plus qu’il n’a pas avisé Mme Lafrenière de la tournure des événements. La Cour convient que les dépenses engagées et les inconvénients ayant découlé de la situation constituent un dommage monétaire pour Mme Lafrenière. La Cour accorde à Mme Lafrenière le paiement des dépenses suivantes :
Cependant, la Cour rejette la demande de dédommagement relative au programme de désensibilisation auquel est soumis Tonnerre pour résoudre ses problèmes psychologiques. L’objectif du dédommagement accordé par les tribunaux demeure de remettre les parties dans la situation antérieure à la source de leur conflit, et non de permettre à l’une de s’enrichir. La Cour rejette la réclamation de M. Maheu relative aux frais de pension, rappelant que l’entente prévoit la gratuité de ce service. Par ailleurs, elle renvoie la question de l’atteinte à la réputation au tribunal compétent, la Division des petites créances de la Cour du Québec ne pouvant se prononcer en la matière. Finalement, elle refuse de partager la responsabilité de M. Maheux avec Mme Lafrenière. Contrairement à ce que suggère M. Maheux, la Cour conclut que Mme Lafrenière ne s’est pas comportée de façon négligente ou déraisonnable, n’ayant aucune raison de prévoir ou de savoir que l’état de santé de son cheval se détériorerait. Leçons à tirer En plus de fournir des renseignements utiles sur les obligations du gardien de l’animal, cette décision émet des rappels pertinents quant à la conclusion d’un contrat écrit qui aurait évité les problèmes. Cela aurait notamment permis d’éviter les ambiguïtés relatives aux frais à la charge de chacune des parties. Finalement, la Cour souligne que la bonne foi et le caractère bénévole des services rendus sont insuffisants pour libérer le gardien d’un cheval de ses responsabilités. RÉFÉRENCES :
1 RLRQ, c. C-27.1, art. 1112.1 2 Garguilo c. Municipalité de Notre-Dame-de-Lourdes, 2018 QCCQ 5743 3 Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, RLRQ, c. B-3.1 4 Lafrenière c. Maheux, 2018 QCCQ 4055 |